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centaines de chétives masures ainsi qu’un mauvais bazar, est le chef-lieu de l’oasis. Voilà cette Merv qu’on s’est représentée comme une cité merveilleuse et riche. Merv n’est pas une ville; ce n’est, en réalité, qu’une simple dénomination géographique donnée à une certaine portion de terre cultivée. Les Tekkés, les maîtres de l’oasis avant l’occupation russe, vivaient de brigandage; maintenant ils se livrent à l’agriculture. Le bazar n’offre plus la même animation que jadis, où les courtiers boukhariotes et khivains, suivis d’une nombreuse escorte, venaient faire leurs provisions de bétail humain et échanger divers objets manufacturés. En somme, les Merviens sont pauvres et peu industrieux, excepté les femmes, qui excellent dans la confection des tapis et des étoffes de soie. Le manque d’une monnaie particulière à Merv, avant l’occupation russe, est une preuve évidente de son peu d’importance commerciale ; on y trouvait le kran persan (1 franc), le tenghé de Boukhara, et, depuis peu, on y trouve les billets de banque russe; du reste, chacun y battait monnaie selon ses besoins.

Le célèbre voyageur P. Lessar raconte qu’il reçut un jour la visite d’un maître monnayeur. C’était un homme aimable et d’humeur joviale; il tenait à la main un grand sac contenant tout son outillage, ainsi que des morceaux de métal et des pièces de monnaies achevées. « Nous n’avons point de padichah, dit-il, ce qui nous permet de fabriquer notre argent nous-mêmes; chacun a le droit d’en faire, seulement il faut connaître son métier, — et, sous ce rapport, le fabricant n’avait pas son pareil. » Le maître monnayeur lui montra ses coins et ses spécimens de fabrication ; il frappait des monnaies russes, khivaines, boukhariotes et persanes, de peu de valeur. Les nouveaux krans persans étant très difficiles à imiter, l’artiste en fabriquait peu. Il composait l’alliage de ses pièces d’un tiers d’argent, de deux tiers de cuivre, et jouissait d’une grande considération parmi les Merviens comme expert en métaux précieux. On s’adressait à lui pour les évaluations et surtout pour le triage des fausses pièces en cas de paiemens considérables.

L’ancienne Merv, appelée aussi Mérou, Maour ou Mareh, cette rivale de Balkh qui fut jadis si florissante qu’on l’appelait la reine du monde, se trouvait à quarante verstes plus à l’orient dans une plaine sillonnée d’anciens canaux et couverte de ruines remarquables, appelées aujourd’hui Kobar-Kala par les indigènes, qui prétendent que cette ville fut bâtie par Iskander ou Alexandre le Grand. Non loin de cet amas de décombres, on voit les ruines de la résidence du sultan Sandjer, avec des restes de tours et de tombeaux ; c’est au sud-ouest de cette localité que se trouve l’emplacement de Baïram-Ali-khan, la dernière ville de l’oasis détruite vers la fin du siècle passé. Le voyageur Regel raconte, d’après une légende