Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la place où se sangle chez nous le cheval, le second se croise sous le ventre à la hauteur des reins ; ainsi vêtu, le cheval, attaché à une longue corde ou à une chaîne, reste entravé à proximité de la kibitka. Par suite du frottement continuel des couvertures sur le cou, la crinière ne se développe que faiblement, ou pas du tout, et là où elle se montre, on la coupe avec des ciseaux ; le Tekké ne laisse au cheval que le toupet du front; la queue est longue, mais peu fournie. Le Turcoman ne connaît pas le mors, la bride qu’il emploie est mince ; il ne se sert ni d’éperons ni de cravache, inutiles à cause des couvertures du cheval ; le fouet minuscule qu’il porte n’est qu’un joujou. Il est rare de voir le Tekké châtier son cheval, et si cela lui arrive, il relèvera les feutres qui en couvrent la croupe, ce qui donne lieu à une opération fort compliquée, pendant laquelle sa colère a le temps de se calmer.

Le Tekké monte les rênes flottantes, laissant toute liberté à son cheval, qui par nature a un beau port de tête, et qui choisit lui-même avec un instinct remarquable son chemin à travers les défilés escarpés des montagnes. Juché très haut sur la selle, les couvertures obligent le cavalier à tenir les jambes très écartées et droites, l’étrier chaussé; au galop, le cavalier est debout sur ses étriers, le corps penché en avant. Le cheval tekké n’a que deux allures, le galop et un pas qui tourne à l’amble ou au pas tierce; c’est avec cette allure que le Turcoman fait ses grandes traites de huit jours, à raison de 200 verstes en moyenne par jour, restant en selle vingt heures sur les vingt-quatre. J’ai été frappé de retrouver dans l’Akhal les mêmes superstitions à l’égard des chevaux que chez les Cosaques de l’Oural ; ainsi, un cheval ayant un pied blanc aux extrémités opposées porte malheur au propriétaire; le cheval buvant dans son blanc est le signe que la femme du cavalier lui est infidèle.

Peut-être n’est-ce pas tant la race du cheval turcoman qui en fait la supériorité que le travail qu’on en exige. L’alamane (razzia à main armée) a créé les chevaux tekkés et développé leurs qualités merveilleuses; quand les alamanes deviendront impossibles et que les Tekkés ne dresseront plus leurs chevaux pour ces longues expéditions, ils tomberont au-dessous de ceux des Yemralis, qui offrent un type plus parfait à nos yeux. Si le Turcoman est capable d’affection, il la garde pour son cheval, avec qui il partagera sa dernière poignée d’orge comme sa dernière goutte d’eau. N’étant jamais battu, cet animal est d’un caractère remarquablement doux avec les hommes, quoique féroce avec ses semblables : quand un étalon parvient à se détacher, il s’engage des combats parfois terribles et des plus dangereux pour ceux qui s’approchent : il est inutile de s’interposer