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l’artiste inspirés. Nous nous proposons telle idée, a dit M. Ravaisson dans une de ses pages les plus éloquentes et les plus souvent citées : « des profondeurs de la mémoire sort aussitôt tout ce qui peut y servir des trésors qu’elle contient. Nous voulons tel mouvement, et, sous l’influence médiatrice de l’imagination, qui traduit pour ainsi dire dans le langage de la sensibilité les dictées de l’intelligence, du fond de notre être émergent des mouvemens élémentaires dont le mouvement voulu est le terme et l’accomplissement. Ainsi arrivaient, à l’appel d’un chant, selon la fable antique, et s’arrangeaient, comme d’eux-mêmes, en murailles et en tours, de dociles matériaux[1]. » M. de Hartmann dit semblablement que, la volonté ayant posé le but, « l’inconscient » intervient pour le réaliser ; mais cet inconscient, selon nous, n’est autre que le travail cérébral et, au lieu de voir ici un exemple de finalité mystérieuse, une inspiration providentielle, une magie divine, nous y voyons une série de mouvemens enchaînés par les lois du choc et de l’équivalence des forces. Le dieu inspirateur des poètes et des artistes, c’est la marée montante des associations, où toutes les ondes nerveuses, sous l’attraction d’une force commune, se soulèvent et s’entraînent dans la masse frémissante du cerveau.

La conscience n’a pas pour cela le rôle passif que lui prêtent MM. Ribot et Maudsley : non-seulement c’est elle qui pose la fin et l’idée principale, mais c’est elle encore qui dirige le cours même des idées secondaires. Sans doute elle ne peut empêcher l’association de lui offrir telle et telle idée, mais elle peut rejeter ce que l’automatisme lui offre, jusqu’à ce qu’il lui offre ce qui convient à son projet. C’est ainsi que la conscience refait sur un plan nouveau ce qu’avait ébauché un mécanisme inconscient. Bien plus, outre sa puissance négative de refus, la conscience a aussi le pouvoir positif d’accroître par la réflexion la force des idées propres à son dessein ; or, quand une idée, devenue ainsi prédominante, a multiplié sa propre force en se réfléchissant sur elle-même, elle devient un centre d’attraction irrésistible pour toutes les autres idées et produit ainsi parmi elles une sélection intelligente. Outre l’inspiration spontanée dont nous parlions tout à l’heure, il peut donc exister une inspiration réfléchie qui, au lieu de se faire dans l’obscurité de l’inconscience, s’accomplit au grand jour de la conscience. L’organisme même en ressent les effets : la réflexion, par le courant nerveux plus intense qu’elle produit dans une direction déterminée, rend les nerfs plus sensibles à des impressions faibles, de sorte que l’ouïe, la vue, le

  1. La Philosophie en France au XIXe siècle.