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James, de dissocier ce qui avait été associé par la simple habitude et par la fréquence des simples contiguïtés. Le savant ne doit-il pas d’abord séparer l’idée de combustion d’avec toutes ses associations habituelles, — dégagement de flamme et destruction de l’objet brûlé, etc., — pour pouvoir l’associer ensuite avec l’idée de cette respiration qui entretient la vie ? Si donc la conscience n’est pas la force primitive d’association, c’est elle qui, en réagissant sur les associations arrivées du dehors, devient la force principale de dissociation et d’analyse. Selon M. Spencer, cette rupture des associations primitives et cette sélection des ressemblances cachées se ferait par la simple variation des circonstances extérieures, qui nous présentent les mêmes objets dans des groupes différens ; mais il est clair qu’il faut aussi considérer l’influence de ce milieu intérieur qui est la conscience même, sous les trois formes de l’intelligence, de la sensibilité, de la volonté. Les idées de l’intelligence entrent comme facteurs dans cet ensemble de « circonstances » qui dissolvent les associations primitives et en composent de nouvelles. On en peut dire autant, comme nous allons le voir, de nos sentimens et de nos volitions.

D’abord, la loi même de similarité se confond avec la loi qui veut que l’être sensible tende à son plus grand plaisir, car la similarité, en permettant la plus grande activité avec le moindre effort, produit par cela même du plaisir : le seul fait qu’une nouvelle expérience coïncide avec une expérience ancienne engendre un sentiment agréable. L’enfant sourit au visage qu’il retrouve le même. Si les contrastes nous plaisent, c’est qu’ils ont lieu au sein de la ressemblance et la font ressortir : ils nous donnent à la fois la jouissance de l’ancien et celle du nouveau, distinctes et cependant unies. Enfin, c’est déjà jouir que se souvenir, car c’est contempler des semblables et doubler sans effort le présent avec le passé ; de là cette volupté secrète qui se retrouve jusque dans le souvenir de la douleur. L’émotion apparaît ainsi au fond de la mémoire, comme le ressort caché de l’association des idées et le principal moyen de la synthèse mentale.

Aussi les mêmes objets ne réveillent pas les mêmes souvenirs quand nous sommes gais ou quand nous sommes tristes. Il y a en nous une disposition générale de la sensibilité et comme un ton général de notre humeur qui repousse ce qui lui est contraire et attire ce qui lui est conforme. On pourrait appeler cette loi d’association « loi de sélection sensible, » puisqu’elle fait de notre sensibilité une force d’attraction et de répulsion. Les idées ne s’enchaînent pas seulement par des rapports tout mécaniques et logiques ; elles s’enchaînent par un rapport d’adaptation à nos sentimens. Nous