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dans le temps et de la similarité, qui sont, à notre avis, deux aspects d’une seule et même loi.

D’abord, comment deux impressions, par exemple de la vue et de l’ouïe, se lient-elles dans le cerveau ? Il faut pour cela qu’elles ne demeurent pas isolées, l’une dans le centre visuel, l’autre dans le centre auditif, mais qu’elles aient assez de force, de durée et de netteté pour retentir dans une commune région du cerveau et pour y être centralisées. Ainsi vont à la rencontre l’une de l’autre les deux ondulations produites dans une masse d’eau par deux pierres tombées à une faible distance. Quand il y a rencontre de deux ondes nerveuses, il s’établit une communication entre elles, une première union qui est une habitude naissante. Maintenant, il importe de le remarquer, cette union ne peut avoir lieu que dans des parties du cerveau contiguës. La contiguïté dans le temps ne lie donc les choses que par l’intermédiaire d’une contiguïté dans l’étendue du cerveau. Ainsi s’établissent entre les voies nerveuses, comme entre les voies ferrées, des bifurcations analogues à celles où l’aiguilleur détermine la marche des trains ; la succession des idées, même de celles que nous reconnaissons ensuite pour similaires, est provoquée par la rencontre, au point de bifurcation, de deux trains d’images dans des régions contiguës du cerveau. Les mots entremets, entrecôte, entrepont, s’éveilleront mutuellement par leur point de bifurcation entre, et dans certaines maladies, le malade répétera machinalement ces mots à la suite l’un de l’autre. La force qui, dans le cerveau, soude entre elles les représentations est donc mécanique : c’est la persistance de l’énergie et la continuité du mouvement qui se transmet toujours à des parties contiguës. Tout mouvement produit tend à se dépenser d’une manière ou d’une autre ; il ne peut donc s’arrêter dans un groupe de cellules cérébrales, il passe nécessairement aux groupes voisins pour retentir de proche en proche jusqu’à des groupes plus éloignés. La loi de continuité se confond ainsi, dans le cerveau, avec la loi de propagation du mouvement.

Est-ce à dire que la similarité ne joue dans le cerveau aucun rôle ? — Tant s’en faut, car les parties du cerveau contiguës sont précisément des parties similaires, qui vibrent d’une façon partiellement identiques. Ainsi, dans les centres visuels, les cellules sont toutes organisées de façon à réagir sous les rayons lumineux ; les cellules des centres auditifs réagissent sous les vibrations sonores, etc. Donc, en somme, les impressions ne peuvent se lier que si elles sont centralisées dans des parties du cerveau similaires en même temps que contiguës ; donc encore, dans le cerveau même, la contiguïté implique une certaine similarité et une certaine réduction à l’unité.