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Ces hypermnésies sont causées tantôt par une circulation fébrile du sang, qui donne une activité anormale à certaines portions du cerveau ou à certains systèmes de réflexes, tantôt par une régression qui, ayant détruit les souvenirs plus récens, ramène à la lumière des couches profondes et oubliées : par exemple des impressions et passions de la jeunesse, des croyances anciennes auxquelles il semble qu’on revient par une sorte de conversion. Ce phénomène s’observe souvent chez les mourans[1]. Ici encore, nous voyons les sentimens, et surtout ceux des jeunes années, résister mieux que les idées à l’influence destructive de la maladie, tant il est vrai que la sensibilité est le fond de la vie même et conséquemment de la mémoire !


IV.

La seconde fonction de la mémoire est le rappel des souvenirs produit par l’association des idées. On sait toute l’importance que cette fonction a prise dans l’école anglaise depuis Hobbes, Hume et Hartley jusqu’à Mill, Bain et Spencer. Selon Hume, cette loi a la même importance dans la vie intellectuelle que l’attraction dans les mouvemens des astres. Peut-être, en effet, au point de vue physiologique, cette loi n’est-elle, comme la gravitation dans les corps et la sélection dans les espèces vivantes, qu’un cas particulier des lois qui règlent la propagation du mouvement selon la ligne de la moindre résistance. La psychologie anglaise contemporaine, qui s’intitule elle-même psychologie de l’association, va jusqu’à ramener toutes les lois de l’esprit à cette loi unique. Sans aller aussi loin, on peut dire que, dans l’association des idées, la part du mécanisme est prédominante. C’est qu’il s’agit ici non plus des termes mêmes de la pensée, mais de leurs relations et successions, choses soumises aux lois mécaniques : rien n’est plus voisin de l’automatisme que l’entendement.

Le mécanisme physiologique de l’association des idées n’est pas

  1. En Amérique, un nombre considérable d’Allemands et de Suédois, peu avant de mourir, prient dans leur langue maternelle, qu’ils n’ont souvent pas parlée depuis cinquante ou soixante ans. Winslow note aussi que des catholiques convertis au protestantisme ont, pendant le délire qui précédait leur mort, prié uniquement d’après le formulaire de l’église romaine. — « Les reviviscences de ce genre, dit M. Ribot, ne sont au sens strict qu’un retour en arrière, à des conditions d’existence qui semblaient disparues, mais que le travail à rebours de la dissolution a ramenées… Certains retours religieux de la dernière heure dont on a fait grand bruit ne sont, pour une psychologie clairvoyante, que l’effet nécessaire d’une dissolution sans remède. » (Voir M. Ribot, p. 147.)