Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dérangées, restent à la fin dans l’orientation qu’on leur a fait prendre. Dans la masse vivante, quand un mouvement aura parcouru une ligne une première fois, il y aura, suivant cette ligne, plus de facilité pour une seconde transmission du mouvement. Une voie de communication s’établira donc entre certains points. Le long de ces voies finira par se distribuer la partie la plus excitable du protoplasma. Un nerf rudimentaire pourra ainsi prendre naissance, avec une forme nouvelle de vibrations dans le centre nerveux. Si cette forme est utile, elle subsistera et, en vertu de la sélection naturelle, se perfectionnera de génération en génération. Il pourra s’établir dans l’animal autant d’organes nouveaux, par cela même autant de formes de mouvemens reçus ou transmis, qu’il y a d’espèces de mouvemens physiques. Il se formera, par exemple, des organes, excitables à ces vibrations chimiques des atomes qu’on appelle saveurs et odeurs. L’organe par où s’introduisent les alimens deviendra de plus en plus modifiable sous leur influence chimique, et l’animal doué de cette excitabilité plus grande aura des chances de plus dans la lutte pour la vie. Chez certains animaux, la sélection pourra développer des organes qui ne se produiront pas chez d’autres, par exemple, un organe excitable à l’électricité, une mémoire de l’électricité. En un mot, le caractère particulier de la cause extérieure entraînera le développement particulier des centres sensoriels, qui sont, si l’on veut, autant de mémoires organiques. On pourrait comparer les cordons nerveux à des cordes tendues, l’une produisant le la du diapason, une autre produisant l’ut, etc., quel que soit le moyen par lequel vous arriverez à ébranler la première, — frottement d’un archet, pincement avec le doigt, coup donné sur la corde, fort ébranlement de l’air, courant électrique, — la première corde donnera toujours le la et non une autre note, l’autre corde donnera toujours l’ut : l’une sera la mémoire du la l’autre de l’ut. Il en est du cerveau comme d’un instrument composé de cordes prêtes à vibrer ; si on prononce une note devant l’instrument, les cordes qui donnent naturellement cette note ou ses harmoniques vibrent, et les autres demeurent immobiles ou à peu près ; de même, une impression dont le cerveau est le siège éveille les impressions semblables ou harmoniques dans les nerfs ou dans les cellules qui sont précisément aptes à les fournir. Au point de vue physiologique, organisation et mémoire sont donc une seule et même chose, parce que toute organisation est un système naturel de mouvemens ayant pour résultante une forme déterminée, qui, dans la conscience, pourra devenir une idée déterminée. Allons plus loin ; dans le monde inorganique lui-même, toute forme durable ou susceptible de répétition peut être appelée une mémoire :