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et les images photographiques, le terme de comparaison qui précède est encore trop grossier. Une telle conception de la mémoire prend le cerveau à l’état de repos ; on y considère les images comme fixées, clichées, photographiées, ce qui n’est pas exact. Il n’y a point de pensées toutes faites dans le cerveau, pas d’images réelles, mais seulement des images virtuelles qui n’attendent qu’une excitation pour passer à l’acte. Il faut donc combiner les deux explications précédentes : persistance des vibrations et des résidus. Il faudrait un terme de comparaison où l’on vît non-seulement un objet recevoir et garder une empreinte, mais cette empreinte même revivre à un moment donné et reproduire dans l’objet une vibration nouvelle. « Peut-être, a-t-on dit avec raison, l’instrument le plus délicat, réceptacle et moteur tout ensemble, serait le phonographe[1]. » La différence entre le cerveau et le phonographe, c’est que, dans la machine encore grossière d’Edison, la plaque de métal reste sourde pour elle-même, la traduction du mouvement dans la conscience ne se fait pas ; cette traduction est la chose merveilleuse, et c’est ce qui se produit sans cesse dans le cerveau, (c Le souvenir reste ainsi toujours un mystère, mais ce mystère est pourtant encore moins étonnant qu’il ne le semble. Si le phonographe s’entendait lui-même, ce serait, en somme beaucoup moins étrange que de penser que nous l’entendons[2]. »

Ni l’hypothèse des vibrations persistantes ni celle des résidus persistans, que nous venons de ramener à l’unité, ne paraissent suffisantes à M. Ribot et à M. Maudsley. Selon eux, comme selon Érasme Darwin, la mémoire « dépend essentiellement des lois vitales, et non pas seulement des lois mécaniques. » Il y a dans le cerveau, dit M. Wundt, non des empreintes, mais des dispositions à fonctionner d’une certaine manière, c’est-à-dire des a dispositions fonctionnelles. » Il s’établit dans le cerveau, dit M. Ribot, des liens nouveaux entre les cellules pour l’accomplissement de certaines fonctions, c’est-à-dire des associations dynamiques. » Rien n’est plus vrai, et le savant ne doit jamais oublier qu’il a affaire, dans le cerveau, à de la matière vivante, non à une substance inorganique, mais ce n’en est pas moins là une vérité toute relative à notre ignorance. Pour le philosophe qui généralise, si on laisse de côté la sensibilité et la conscience, la vie elle-même offre-t-elle extérieurement autre chose qu’un mécanisme perfectionné ? C’est d’une manière toute provisoire, croyons-nous, que la science intercale entre les lois mécaniques et les lois psychiques des lois

  1. M. Guyau, la Mémoire et le Phonographe (Revue philosophique de mars 1880).
  2. Ibid.