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notre armée est bien affaiblie moralement ; il faut la débarrasser d’une foule de vieux officiers qui ne veulent plus qu’attendre le plus doucement possible, soit leurs trente années de service, soit les douze ans du grade de capitaine. Il nous faut ici des hommes d’une trempe ferme pour maintenir le soldat devant les têtes coupées et les corps tronçonnés par le yatagan. C’est le brave La Moricière qui a mis un terme à une situation fâcheuse et sauvé peut-être la réputation d’un régiment très bien composé, sauf la tête. Cet officier mérite beaucoup pour avoir ainsi déterminé les deux tribus à cet acte de vigueur, et lui seul pouvait y réussir. C’est un homme qu’il faut avancer aussi rapidement qu’on le pourra, afin qu’il soit plus tôt en situation de rendre des services plus importans. » Grâce à La Moricière, le brave et malheureux général Trézel put rentrer dans Oran autrement qu’en fugitif, à la tête des chasseurs d’Afrique et des auxiliaires arabes. Aucun parti ennemi ne fut aperçu pendant la marche.

Le 4 juillet, toutes les troupes étaient revenues d’Arzeu. Ce jour-là, le commandant de la division leur fit lire l’ordre suivant : « Notre expédition avait été glorieuse, mais le dernier combat livré aux Arabes a entraîné la perte de notre convoi. La nature des lieux était particulièrement favorable à leur manière de combattre, et l’incendie des taillis nous a privés un moment de l’usage de l’artillerie dans l’endroit même où elle eût été d’un effet décisif. Ces circonstances ne peuvent être imputées aux troupes; toutes ont fait preuve de courage. Qu’on ne charge donc aucun corps du malheur de cette perte et que l’esprit de concorde ne soit point troublé parmi nous. Je punirai avec sévérité quiconque, par ses actes ou ses discours, jetterait un blâme injuste sur qui que ce soit, moi excepté. C’est sur le général seul que doit retomber la responsabilité des opérations de guerre qu’il ordonne. » C’était avec la même simplicité généreuse qu’il écrivait au gouverneur : « J’ai perdu dans ce fatal combat, des espérances qui me paraissaient raisonnables, mais il fallait vaincre pour qu’elles se fussent réalisées. Sans doute j’avais trop compté sur mes forces et trop peu sur celles des Arabes ; mais l’engagement du 26 et tous les événemens auxquels j’avais pris part depuis trois ans en Afrique excusent peut-être cette présomption. Quoi qu’il en soit, je suis oppressé par le poids de la responsabilité que j’ai prise et me soumettrai sans murmure au blâme et à toute la sévérité que le gouvernement du roi jugera nécessaire d’exercer à mon égard, espérant qu’il ne refusera pas de récompenser les braves qui se sont distingués dans ces deux combats. Les jours de défaite font reconnaître les hommes fermes, et je ne signalerai que ceux-là aux bontés du roi. »