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fuyards qui, donnant tête baissée au travers du marais, s’enlisent ou se noient.

Il n’y a plus rien qui ressemble à une troupe organisée. Officiers et soldats semblent atteints de folie; les paroles incohérentes qu’ils échangent tiennent du délire; quelques-uns, complètement nus, chantent et dansent; la plupart n’ont plus ni sac ni habit. Arrivés presque qu’à l’issue du défilé, comme ils n’aperçoivent ni la Macta ni la mer, que les dunes dérobent à leur vue, ils s’imaginent qu’ils sont dans une impasse, et les voilà qui se rejettent, au risque d’y périr jusqu’au dernier, vers le marécage. Le général et son chef d’état-major se multiplient, s’épuisent pour les retenir dans le chemin. Trois quarts d’heure sont ainsi perdus; enfin la tète se laisse ramener sur la route d’Arzeu ; mais alors ce sont les volontaires d’arrière-garde qui refusent de partir. « A la queue où j’étais avec un groupe d’hommes de toutes armes, a écrit le commandant de Maussion, je ne sais qui s’avise de crier qu’il faut former le carré, — dans un chemin étroit, bordé de broussailles et tout mamelonné ! — Cette belle idée prévalut si bien qu’elle faillit arrêter tout mouvement, et une heure après, les vingt ou trente hommes qui tiraillaient à l’arrière-garde me criaient encore : « Formons le carré ! » Heureusement l’attaque était moins pressante ; le nombre des assaillans, occupés pour la plupart à couper des têtes et surtout à piller le convoi, s’était notablement éclairci. Quelques charges d’une quarantaine de chasseurs et quelques coups de mitraille achevèrent d’éloigner les plus obstinés des Arabes.

A la nuit tombante, après dix-sept heures de marche et quatorze de combat, la colonne défaite atteignit Arzeu. On se compta; des présens sous les armes au camp du Figuier, le 20 juin, 280 manquaient à l’appel; on sut plus tard que dix-sept au moins de ceux-là n’étaient pas morts ; par une fortune bien rare, ils n’étaient que prisonniers ; les blessés qui avaient pu revenir avec la colonne étaient au nombre de 308. Du convoi on n’avait pu ramener que deux voitures; un obusier de montagne était resté dans le marais. Dans la nuit, le général Trézel fit partir en canot pour Mers-el-Kébir un officier d’état-major, avec ordre de faire diriger au plus vite sur Arzeu tous les navires disponibles. Son intention était d’abord de n’embarquer que les blessés et les malades, mais la prostration des autres était telle encore qu’il ne jugea pas possible de les ramener par terre à Oran. Le 30 juin au soir, un grand nombre de navires étant arrivés, presque tout ce qui restait de l’expédition, sauf la cavalerie, avait déjà été mis à bord.

Au même moment, d’un bâtiment à vapeur détaché d’Alger par le comte d’Erlon, descendaient le commandant de La Moricière, le