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suffisante pour les débusquer, mais cette compagnie trouva beaucoup de monde contre son attente ; il fallut en envoyer une seconde, et ce ne fut pas assez encore. Le général Trézel était à l’arrière-garde, où l’attaque venait de recommencer à l’improviste. Le commandant de Maussion, qui guidait la colonne, fut tenté d’envoyer immédiatement sur la colline tout le bataillon d’Afrique, mais il n’osa pas prendre sur lui d’ordonner un si grand mouvement; pendant qu’il courait de la tête à la queue chercher les ordres du général, il vit le reste du bataillon italien monter successivement par compagnies en désordre. Les petits paquets ne sont jamais bons : c’est la défaite en détail.

Il y avait parmi les Arabes de hardis partisans qui, s’élançant entre les groupes, vinrent tomber sur le convoi. Ce n’était rien ; car une charge de l’escadron de gauche suffit à le dégager ; mais le bataillon ou plutôt les compagnies éparpillées ont tout vu d’en haut ; déjà pressées par un ennemi supérieur en nombre, elles prennent peur et redescendent précipitamment. Un cri s’élève : « Dans la plaine ! » Cent, deux cents, cinq cents bouches le répètent ; on se croise, on se heurte, on se bouscule. Les uns se replient sur l’arrière-garde ; les autres s’efforcent au contraire de gagner la tête. Entre ces deux masses confuses s’ouvre un grand vide où les Arabes arrivent en foule. Le général Trézel, avant le désordre, était revenu à l’avant-garde ; il y est rejoint par l’escadron de droite, dont le chef, jugeant sa présence inutile sur un flanc couvert par le marécage, a pris sur lui de gagner avec sa troupe la tête de la colonne. L’escadron a galopé sur la lisière du marais ; des voitures essaient d’y passer à la suite ; elles s’embourbent ; les conducteurs coupent les traits et s’enfuient. Des prolonges chargées de blessés sont abandonnées lâchement. Une seule est sauvée par l’énergie du maréchal-des-logis Fournié, qui, le pistolet au poing, force les conducteurs à le suivre. Ceux de l’artillerie ont heureusement gardé leur sang-froid, malgré l’incendie qui s’est propagé dans les buissons. Le général fait mettre les pièces en batterie et tirer à mitraille; à la tête de l’escadron du capitaine Bernard, il charge afin de donner aux fuyards le temps de se rallier sous la protection des chasseurs. A l’arrière-garde où son cheval vient d’être tué sous lui, le commandant de Maussion s’est trouvé tout à coup seul ; trois compagnies du 66e, qu’il avait tout à l’heure sous la main, se sont envolées, c’est son expression même, comme une volée de perdreaux. Il a pu néanmoins gagner à la course un mamelon où quelques hommes se sont ralliés et font un feu de hasard qui néanmoins arrête et contient l’ennemi. D’un côté, on entend les cris déchirans des blessés que les Arabes achèvent et mutilent ; de l’autre, les appels désespérés des