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ce système bâtard que dément l’histoire coloniale de tous les temps et de tous les peuples, avait lu faveur de cette chambre, qui n’avait le courage ni de répudier absolument la conquête, comme le lui prêchaient les économistes, ni de faire tout d’un coup tous les sacrifices d’hommes et d’argent que son hésitation rendait de jour en jour plus considérables et plus nécessaires. Il y avait quelques hommes de sens et d’expérience qui voyaient et dénonçaient les inconvéniens extérieurs de ces débats stériles. D’après le général Valazé, les agens d’une puissance étrangère avaient tiré parti du rapport de la commission pour faire annoncer jusqu’à Médéa la prochaine évacuation de la régence. L’année précédente, selon M. Laurence, la discussion de la chambre, avant qu’on en connût le résultat, avait failli causer des malheurs ; déjà des fanatiques provoquaient les indigènes à la guerre sainte. « Il ne faut pas avoir tous les ans une discussion sur Alger, » reconnaissait M. Piscatory lui-même.

On attendait l’opinion du ministère. Avec l’autorité de son caractère et de son talent, le ministre de l’instruction publique, M. Guizot, la fit connaître : « La France a conquis la régence d’Alger, la France gardera sa conquête. Aucun engagement contraire ne gêne à cet égard la liberté du gouvernement français ; nous agissons dans une complète indépendance ; nous ne connaissons que l’intérêt national. L’abandon d’Alger serait un affaiblissement notable de la considération et de la puissance morale de la France. L’importance croissante de la Méditerranée commande à la France de faire de nouveaux efforts pour conserver son rang, de ne rien faire surtout qui puisse affaiblir sa puissance et sa considération sur mer. » Telle était en quelques mots la conclusion de l’illustre orateur : « Nécessité morale, nécessité politique de garder nos possessions d’Afrique; utilité d’une occupation militaire sûre et tranquille et des sacrifices nécessaires pour atteindre ce but ; utilité de bonnes relations constamment entretenues avec les naturels du pays. Quant à l’extension de l’agriculture et de la colonisation, sachons nous en remettre à l’avenir, ne rien presser, attendre les faits et n’y prêter que la portion d’aide et de secours qui conviendra aux intérêts nationaux de la mère patrie. » Un long mouvement d’approbation suivit ce discours mémorable. Jamais encore le gouvernement issu de la révolution de 1830 n’avait tenu un langage aussi favorable au développement de la conquête ; toute la politique décidée que l’orateur, devenu ministre prépondérant, devait faire prévaloir dans les conseils du gouvernement cinq ans plus tard, était déjà contenue dans ce discours de 1835.

La majorité qui y adhérait alors n’en comprenait assurément pas