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Le comte d’Erlon se décourageait; le peu d’ardeur que lui avaient laissée ses soixante-dix ans s’était amortie; des Maures intrigans avaient essayé de capter sa confiance ; il s’était débarrassé d’eux ; mais il ne savait plus à qui se fier; autour de lui tout était matière à discussion, à compétition, à désaccord. Un officier d’un grand mérite, le commandant de Maussion, un africain de la première heure, depuis le temps de M. de Bourmont jusqu’à celui du général Voirol, s’en allait être, après avoir passé deux années en France, chef d’état-major de la division d’Oran. « Vous ne sauriez vous imaginer, écrivait-il d’Alger à cette époque, combien on se chamaille ici, combien on s’y déteste, combien on s’y décrie. Moi qui connais tout le monde et toutes les affaires, et à qui chacun s’ouvre parce je ne fais que passer, j’ai ramassé depuis deux jours plus de propos, plus de plaintes, plus d’accusations de toute nature que je n’en entendrais en six mois dans toute autre circonstance. »

Les nouvelles de Paris n’étaient pas faites pour donner de l’élan au gouverneur tenu en bride, mis au pas par les ordres du ministre de la guerre, qui l’était lui-même par les contradictions de la chambre. A son arrivée en Algérie, le comte d’Erlon avait sous ses ordres, dans tous les postes occupés de la régence, 31,000 hommes que le budget prétendait réduire à 23,000. Huit mois après, nouvelle réduction réclamée par la commission, dont M. Passy était encore une fois le rapporteur. Ramener l’effectif à 21,000 hommes, supprimer les dépenses de colonisation, resserrer l’occupation en ne gardant qu’Alger, Oran et Bône, telles étaient les mesures recommandées, sinon prescrites encore au gouvernement comme un minimum.

La discussion dura huit jours, du 19 au 27 mai 1835. « Je le dis hautement et sans détour, s’écriait M. de Sade, mon vote sera pour l’abandon définitif. — La possession d’Alger, répétait M. Passy, est onéreuse et dommageable à la France. » Un député de ce temps-là, M. Desjobert, s’était fait une célébrité par sa passion antialgérienne. Sur le principe général de l’occupation, il y avait une majorité résignée plutôt que convaincue ; les partisans décidés de la conquête, surtout étendue et progressive, étaient rares. M. Charles Dupin était assez applaudi quand il disait : « Conserver à jamais la conquête d’Alger n’est pas seulement une question d’honneur, c’est une question vitale pour le gouvernement de juillet. La promesse en a été faite ; elle survit au ministère qui l’a prononcée. C’est le dieu Terme de l’honneur : il ne peut plus reculer. » On l’applaudissait parce qu’il ne parlait que d’Alger; mais on murmurait quand M. Mauguin, partisan de l’occupation étendue, s’écriait : « Vous êtes condamnés ou à tout abandonner, ou à tout posséder. » L’occupation restreinte,