Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France sur les bords du Nil. Une faiblesse de plus devant Nubar-Pacha achèverait de ruiner notre crédit auprès des colonies étrangères comme aux yeux des populations. Il n’y a point, du reste, à s’égarer en vaines menaces, à mettre en mouvement soldats ou navires pour des démonstrations qui dépasseraient le but. La France n’a qu’à maintenir fermement ses droits. On ne peut, après tout, résoudre sans elle cet éternel problème égyptien ; ces questions financières elles-mêmes sur lesquelles on vient de s’entendre, elles ne peuvent être définitivement et utilement tranchées sans son assentiment et son concours. La France a donc tous les moyens de venger une injure, de faire respecter ses droits sans sortir d’une froide modération, sans recourir aux procédés extrêmes de la force. Si la guerre est heureusement finie pour elle aux frontières de la Chine, elle ne renaîtra pas pour une querelle avec Nubar-Pacha sur les bords du Nil, et, en définitive, démêlé avec l’Egypte, affaires du Tonkin, ne sont plus que des incidens d’une importance sensiblement diminuée ou limitée au milieu des problèmes bien autrement graves qui s’agitent depuis quelques jours en Europe et en Asie, qui menacent peut-être la paix universelle.

La vraie question aujourd’hui, en effet, celle qui éclipse et domine toutes les autres, c’est cette sérieuse et émouvante querelle qui s’est élevée entre l’Angleterre et la Russie, qui se déroule avec une inquiétante gravité et semble conduire, à travers les protestations pacifiques de deux grands gouvernemens, au plus redoutable des conflits. De cette querelle, qui est, il faut l’avouer, dans la nature des choses, dans la situation des deux empires, mais qui n’avait jamais pris des proportions aussi menaçantes, qu’en sera-t-il demain? Depuis quelques semaines, l’opinion européenne a eu le temps de passer par toutes les phases, consultant heure par heure tous les augures, tantôt croyant à la paix, parce qu’elle la désire, tantôt voyant la guerre de plus en plus inévitable : la vérité est que tout tient à un fil, à un incident qui peut se passer au loin et entraîner les deux gouvernemens, sans qu’ils l’aient voulu, dans un conflit dont le caractère et les suites possibles échappent à tout calcul. On sait comment la question s’est engagée ou resserrée, dans ces derniers temps, à propos d’une délimitation toujours incertaine aux abords de cette principauté de l’Afghanistan qui a été considérée jusqu’ici comme une barrière entre les deux empires. Les Afghans, soit qu’ils aient agi spontanément, soit qu’ils aient obéi à des instigations anglaises venues du gouvernement de l’Inde, se sont avancés, il y a quelques mois, justement sur un des territoires contestés de leur frontière. Les Russes, à leur tour, ont fait un mouvement en avant; ils se sont approchés de la frontière disputée, et on s’est bientôt trouvé en présence. Pour éviter un choc qui pouvait éclater d’un instant à l’autre et compromettre l’œuvre pacifique de la commission