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Bosphore Égyptien, gênait Nubar-Pacha par ses polémiques ou ses divulgations parfois peut-être assez peu mesurées : rien de plus simple, le premier ministre du khédive a supprimé le journal, et il ne s’en est pas tenu là ; il a envoyé des gendarmes, commandés d’ailleurs par un officier anglais, avec l’ordre de pénétrer de vive force dans l’imprimerie du journal, de saisir le matériel, de violer le domicile de l’imprimeur, qui est de nationalité française. Le ministre égyptien, dans son ardeur de répression, oubliait seulement ou feignait d’oublier que les domiciles des Français sont couverts par les capitulations, que nos nationaux sont sous la juridiction consulaire. Vainement le fonctionnaire chargé pour le moment du consulat général de France, M. Saint-René Taillandier, a fait ses représentations lorsqu’il en était encore temps et a envoyé ses agens pour protéger l’imprimeur menacé : Nubar-Pacha ne s’est point arrêté. Les gendarmes égyptiens ont exécuté les ordres qu’ils avaient reçus ; ils ont même maltraité et violenté les agens du consulat. L’exécution a été complète. Évidemment, l’intérêt privé, si sérieux qu’il soit, n’est ici que secondaire ; le point principal, c’est la violation des droits de protection et des privilèges de la France, c’est l’atteinte portée par une brutalité d’arbitraire aux capitulations. C’est là ce que la France ne pouvait admettre pour sa propre dignité, pour la dignité des nations civilisées intéressées à se faire respecter. Elle se devait à elle-même, elle devait à ses nationaux et on pourrait dire à tous les Européens de relever l’injure, de protester avec fermeté, de demander une éclatante réparation au gouvernement égyptien. Elle ne s’est point adressée directement et officiellement à l’Angleterre, puisque c’eût été reconnaître la suzeraineté britannique ; elle a réclamé auprès du khédive, seul responsable, sinon seul coupable. Nubar-Pacha a-t-il cru pouvoir se sauver par des subterfuges et des équivoques ? Il a pris son temps pour consulter la Porte, sans doute aussi pour demander conseil et appui à l’Angleterre, dont il est le protégé compromettant. Il a si bien fait avec ses faux-fuyans que la France s’est fatiguée et que notre consul général a dû quitter le Caire pour se retirer provisoirement à Alexandrie. Ce n’est point absolument, si l’on veut, une rupture diplomatique ; c’est une suspension de rapports en attendant qu’une juste réparation, vainement réclamée jusqu’ici, soit accordée par un mouvement plus ou moins spontané du khédive ou sous l’influence de l’Angleterre qui est certainement décidée d’avance à ne pas laisser cet incident s’aggraver.

De toute façon, la France est engagée aujourd’hui ; elle ne pourrait plus céder sans perdre irréparablement ce qui lui reste de crédit en Égypte, et le nouveau ministre des affaires étrangères, M. de Freycinet, est d’autant plus obligé de montrer quelque fermeté, qu’il a singulièrement contribué, il y a trois ans, à affaiblir la position de la