Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UN
MINISTRE DE LA RESTAURATION
D’APRÈS UNE PUBLICATION RÉCENTE

Pour écrire une bonne biographie, il faut avoir à la fois de la chaleur d’âme et de style et beaucoup de discrétion, se bien persuader qu’on ne rend les hommes intéressans qu’en les représentant tels qu’ils ont été et qu’en matière d’histoire les brodeurs sont toujours ennuyeux. S’il s’agit d’un personnage qui n’a joué dans les événemens qu’un rôle secondaire, il faut résister à la tentation de le surfaire par des artifices d’éloquence, de l’attirer au premier plan, d’ajouter quelques pouces à sa taille. Il importe aussi de peindre les caractères avec leurs hauts et leurs bas, dans la candeur de leurs contradictions, et de se souvenir que l’âme, comme l’a dit un historien, n’est qu’une suite continuelle d’idées et de sentimens qui se succèdent et quelquefois se détruisent, qu’elle reçoit mille changemens par l’âge, par les maladies, par la fortune. Il importe davantage encore de s’en tenir à l’essentiel, aux traits saillans et d’écarter avec soin les détails oiseux. Le vrai biographe n’a garde de tout dire ; comme le vrai peintre, il a l’esprit de choix et de sacrifice. Ce sont des qualités peu communes dans un temps où l’art qui se pratique avec le plus d’amour est celui de se noyer dans les détails.

Quiconque a lu le Louvois de M. Camille Rousset et son Comte de Gisors sait à quel point il possède les vertus et les talens qui font le bon biographe, comme il s’entend à peindre des caractères attachans, sans se croire obligé de s’engouer de ses héros et de les imposer de vive