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confions cette commission à MM. Bonnat, Cabanel, Carolus Duran, Chaplin, Delaunay et Henner.

La physionomie générale de ce salon est intéressante. Un artiste de beaucoup d’esprit remarquait qu’on pourrait se reconnaître dans la chronologie du siècle d’après la longueur des cous. Durant la première moitié, dans les portraits des hommes et surtout dans ceux des femmes, le col est élancé, la tête aspire au ciel, elle semble ne pouvoir assez se dégager du corps pour aller chercher là-haut des visions idéales. A mesure qu’on se rapproche de nos jours, le col se raccourcit, la tête rentre dans les épaules, par le mouvement instinctif du taureau qui s’apprête à lutter. C’est que le combat de la vie est devenu plus intense, le regard est ramené aux intérêts immédiats, près de terre. Par application d’une loi de Darwin, l’habitude de la pensée a insensiblement transformé l’habitude du corps. L’observation est si facile à vérifier, qu’il doit y avoir là un peu plus qu’un paradoxe d’atelier.

Ce sont bien des gens de lutte, presque tous ceux qui ont conquis leur place honorée sur ces murs, savans, écrivains, magistrats, ministres. Des ministres ! il y en a tout un banc autour de M. Guizot. Rien de plaisant comme les attitudes symétriques et résignées de M. Dufaure et de M. Duruy, leurs regards détachés du pouvoir, leurs mains vides et lasses qui retombent, ayant laissé échapper le portefeuille. Tous deux semblent vous dire : « N’y touchez pas, il n’en vaut pas la peine ! » M. Duruy le dit avec une belle philosophie, M. Dufaure avec un reste de moue rageuse sous sa lèvre, où se prépare quelque coup de boutoir. Au-dessus d’eux, M. Renan s’est haussé dans un bon poste pour bien voir et s’amuser, ce qui est, on le sait, sa grande affaire; son regard s’abaisse avec commisération sur tous ces ministres, il leur commente les vanités de l’Ecclésiaste, sa bouche va laisser tomber quelque prédication consolante, consolante pour lui-même.

Le hasard des cadres a amené ici le plus curieux et le plus ironique des rapprochemens ; on a placé au-dessus de tous ces vaincus de la politique, précisément sur le Guizot qu’il écrase, un énorme Gambetta. Le tribun domine la salle, il va tonner, il piétine, confond et assourdit tous les hommes d’état du passé. Son voisin, M. Renan, lui a murmuré à l’oreille un conseil qui est une vérité profonde : « Il faut prendre la force où elle est et l’acheter au prix qu’elle coûte. » Gambetta l’a prise, l’a payée, et il a ravi son époque à tous les grands rivaux qui gisent au-dessous de lui. Chacun fera ses réflexions devant le tableau d’histoire composé sur ce panneau. Les comparaisons seront faciles et piquantes entre le noble philosophe, retiré dans sa méditation, transfiguré par un maître, et le