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La toux était venue, un jour qu’à Versailles, en 1871, le poète nous disait, avec sa bonhomie habituelle : «Ce n’est rien, je m’essouffle à courir derrière mon cercueil. »

Mais j’y pense : s’il plane de ce côté un léger brouillard d’ennui, n’est-ce pas qu’on a banni de ces salles les poètes? Pas un n’est entré. Je vois bien là un faux Lamartine, qui en impose à quelques personnes; détrompez-vous, braves gens; ce portrait est noble, anguleux et pâle, mais ce n’est pas un poète, c’est un diplomate; le comte Dosages, ancien directeur politique aux Affaires étrangères, qui continua la forte race des premiers commis d’autrefois. Ce nom, inconnu du grand public, éveille des souvenirs de respect au quai d’Orsay; si vous demandez pourquoi, on vous répondra qu’il a « maintenu les traditions. » Vous voulez savoir quelles traditions, et pour qui? N’insistez pas, cet arcane ne vous concerne point. M. Desages est triste, il voit sa chère carrière menacée par le branle des temps nouveaux. Le commissionnaire est ruiné, et il n’avait contre lui que le télégraphe; pour ruiner le diplomate, le télégraphe conjure avec le journal, avec mille autres agents de simplification. On ne retrouvera bientôt plus le curieux fossile que Chateaubriand décrivait à Rome : « Par ci, par là, j’ai entrevu de petits finauds de ministres de divers petits États, tout scandalisés du bon marché que je fais de mon ambassade; leur importance boutonnée, gourmée, silencieuse, marche les jambes serrées et à pas étroits; elle a l’air prête à crever de secrets qu’elle ignore. » Même à Rome, autour de ces conclaves où se dépensaient les plus subtiles roueries de l’art diplomatique, cet art n’aura plus raison d’être; du train dont marchent les sciences, les idées et les affaires, nous verrons peut-être avant le prochain conclave notre ministre des cultes, si nous en avons un, téléphoner lui-même au saint-père l’abolition du Concordat. Pauvre M. Desages!


III.

Nous entrons dans le pays des vivans; pays difficile, on y marche sur des braises. Cette fois encore, je m’abstiendrai de toute critique ; peintres, originaux et propriétaires de ces toiles se sont unis dans une bonne action collective; si j’allais les en dégoûter par quelque remarque affligeante, je ferais tort aux malheureux. Je ne vois guère ici qu’un contemporain dont il serait tentant de dire un peu de mal à cette place ; c’est M. Buloz. Malheureusement, le regretté M. Cot ne s’est pas prêté à ce dessein ; cette année surtout, où sa mémoire est dignement défendue par une de ses meilleures œuvres, le portrait de Mme V... Il est donc entendu que