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quarante lieues de Paris. Quant à Mme Récamier, pelotonnée aux pieds de Talleyrand, c’est une autre affaire; cette nouvelle exhibition n’accroîtra pas sa renommée. Le jour où elle est venue poser à l’atelier de Gros, emmitouflée dans cette robe de chambre jaune, dans cette collerette et ce bonnet de malade, elle devait être de fâcheuse humeur pour se négliger ainsi. C’est peut-être que René est absent, et les autres aussi; je vois bien dans un coin un petit Benjamin Constant qui boude; M. de Forbin a gagné l’autre salle: Guérin le peint dans les nobles occupations qui siéent à un directeur des beaux-arts ; il a mis son bel habit de gala et tous ses ordres pour s’égarer dans les champs, un album sous le bras, un crayon à la main, afin de lever quelques croquis de la nature. Juliette est abandonnée, aussi Juliette est mélancolique, Juliette a la jaunisse.

Un peu partout, des comédiennes, des acteurs, la Grassini, Mlle Mars, Fleury qui se fait peindre par Mme Romany pour charmer les loisirs de sa prison. La notice du Salon de 1796 nous apprend, en effet, que ce portrait a été commencé dans une maison de détention, où Fleury expiait avec ses camarades l’imprudence d’avoir joué Paméla, la pièce réactionnaire de François de Neufchâteau. Enfin, avant de quitter l’empire, jetons un regard de commisération à ces tableautins où les impératrices se dissimulent ; Joséphine, Marie-Louise, la reine Hortense, échangent entre elles leurs confidences ; humbles et toutes petites, comme il convient à des femmes effacées, dont le maître du monde n’a guère le temps de s’occuper entre deux victoires. — Et maintenant, passons à des époques plus calmes et meilleures ; meilleures, cela est certain, et pourtant on y passe avec regret, car le merveilleux va finir. La collection des comptes-rendus parlementaires est une belle œuvre ; seulement la plupart des hommes sont ainsi faits, qu’ils préfèrent lire l’Iliade, les Mille et Une nuits et le Courrier de Lyon. Si ces belles choses n’avaient pas été écrites, c’est entre 1789 et 1815 qu’on en trouverait la matière. Il faut remercier le ciel d’avoir ces temps derrière soi ; quand notre imagination est condamnée à un trop long jeûne, elle revient se nourrir aux souffrances de nos pères. La France s’ennuie-t-elle? On lui conte les Girondins, et la voilà désennuyée. Est-elle trop longtemps en paix? On lui redit Austerlitz ou Wagram, et la voici qui frémit. Ne dites pas que ce jeu est dangereux ; ce serait avouer qu’il est deux fois attachant.


II.

M. Ingres nous reçoit dans le salon voisin ; il y occupe à lui seul presque tout un panneau, le panneau sur lequel les gais soleils n’ont