Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des passions ; on les voit s’agiter dans leur prison, toutes frémissantes et toutes rouges. » C’est elle, en effet, la fameuse Janthe de la Grèce contemporaine, échue à Hadji Pétros après tant d’autres essais de bonheur international ; l’histoire racontée par cet indiscret d’About est si vieille et si connue qu’on peut bien la compléter. Je vois encore la petite maison aux baies vertes, dans le faubourg de Damas, où la pauvre Janthe est morte, fuyant le courbache de son dernier mari ; elle avait passé la soixantaine quand elle fut reçue dans la tente de Cheikh Mijouell, le chef d’une des tribus de Bédouins qui battent le désert entre Damas et Palmyre ; cet Arabe pratique sollicitait à coups de bâton les dernières livres sterling de sa conquête ; quand je la vis, il y a douze ans, on ne retrouvait plus rien de l’esquisse de Lawrence ni de celle d’About dans la victime de Cheikh Mijouell.

Ces gracieuses étrangères seront le grand succès de l’exposition ; avec nos habitudes d’engouement, on leur sacrifiera sans doute leurs voisines du panneau français, les modèles de Greuze et de Mme Le Brun. Sera-ce justice ? Je ne le crois pas. Avec autant de distinction et d’agrément, nos portraits de cette époque ont plus de liberté, d’animation, et, pour tout dire en un mot, plus d’esprit. Interrogez ce coquin de Beaumarchais que Greuze a envoyé là, et qui dévisage de son œil fûté les Anglaises ; il ne manquera pas de replacer son aphorisme, il vous dira : « Elles sont jolies, elles sont divines, mais à tout ce que je leur demande, elles ne savent répondre que Goddam. » Oui, c’est bien cela ; avec leur air de famille, ces portraits semblent dire un peu trop : Goddam. Cette société est charmante, mais comme on doit s’amuser mieux dans celle d’à côté !

On ne s’y amuse que trop ; ces belles dames, ces seigneurs, ces artistes, groupés autour de Beaumarchais, vous représentent la Folle journée. Dans la compagnie, j’aperçois plusieurs de ceux qui se pressaient à Gennevilliers, chez M. de Vaudreuil, le jour mémorable où l’on y entendit pour la première fois le terrible badinage de Figaro ; voici le comte d’Artois, qui en était, et la duchesse d’Orléans, M. de Calonne, Mlle Dugazon. Elle en était peut-être aussi, Mlle Lenormand, cette belle personne qui ouvre le cortège du siècle, un bouquet de lilas à la main ; elle se rejette en arrière d’un geste effrayé, comme pour sauver ses fleurs et repousser les choses invisibles qu’elle pressent. Tout ce monde a le sourire aux lèvres ; songez donc, Figaro, « las d’attrister des bêtes malades, » lui a si gaîment tiré le premier sang, avec sa « lancette de vétérinaire. » — Eh ! mon ami, ne faites pas fi de la profession ; on dit que, depuis vous, elle compte dans l’état, et que les vétérinaires ne se lassent plus d’attrister les bêtes malades : ils en changent, voilà tout. — Vraiment, elle est galante et plaisante, la folle