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politique, deviendrait un article de foi économique ! Si trop de bons chapitres n’étaient faits pour interdire la sévérité d’un tel jugement, nous demanderions, nous aussi, si c’est la peine d’enseigner l’économie politique dans les facultés de droit, pour y couvrir d’un patronage officiel des thèses exclues désormais du domaine scientifique.

Nous avons déjà fait entendre que telle ne saurait être notre conclusion dernière. Nous estimons que l’enseignement de l’économie politique a été un progrès dans ce sanctuaire jusqu’alors fermé des études juridiques et, en jetant les yeux sur tout ce qu’il a produit, nous avons la certitude qu’il a porté d’excellens fruits. Nous avons cru pourtant utile d’appeler l’attention sur certaines défaillances ou déviations, du moins sur ce qui nous a paru tel. Nous avons pensé qu’il y aurait quelque chose d’inquiétant dans cet éclectisme qui admet, dans une sorte d’ex œquo, la vertu de principes contraires. Il ne faudrait pas, qu’après avoir hésité sur le caractère même et l’objet de la science enseignée, on risquât d’aboutir à un compromis équivoque qui ne serait pas l’économie politique et qui serait déjà un pas fait vers un socialisme indécis, aux contours vagues, mais aux perspectives attirantes. Eviter les excès ou les impatiences de la théorie est bien ; mais si on s’en montrait préoccupé à ce point qu’on ne songeât plus qu’à créer autour de la science économique des barrières, qu’à placer le non à côté du oui, l’antithèse à côté de la thèse, que ferait-on, sinon l’énerver, la rendre suspecte, ébranler les principes vitaux qui font son essence et sa raison d’être ? Ajoutons qu’il ne suffit pas qu’un enseignement ne soit pas un péril, il faut qu’il s’en dégage toute la puissance d’affirmation et de démonstration qui est en lui. L’esprit français aime les idées nettes, et la jeunesse a le même goût au plus haut degré. L’état vague où nous sommes exige une certaine fermeté et décision d’esprit dans l’enseignement, qui doit moins le refléter que le combattre. La société elle-même a besoin d’être confirmée et non ébranlée dans la confiance qu’elle accorde à des vérités fondamentales et salutaires, dont trop d’influences s’emploient à la dégoûter. Cela trace à l’enseignement public son rôle essentiel, et il est visible qu’il doit subordonner à l’effort d’être utile par la propagation des vérités acquises, susceptibles de plus d’un rajeunissement par la nouveauté des applications et par le talent, la prétention trop souvent décevante à une périlleuse originalité.


HENRI BAUDRILLART.