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et les effets en jugeant la rente comme un prélèvement inique au point qu’une indemnité payée aux consommateurs et aux locataires, ou un avantage équivalent, quelle qu’en soit la forme, serait juste en soi, au cas où cela serait praticable. La rente doit être appréciée par ses résultats généraux sur la condition de la masse. Celle-ci gagnerait-elle plus qu’elle ne perdrait à l’abolition d’un stimulant qui évidemment pousse aux perfectionnemens de la culture et à la multiplication de ses produits par l’espoir d’une plus-value qui dépasse les profits moyens du capital ? C’est de la même façon qu’on peut demander à ceux qui regardent le système de la propriété individuelle comme onéreux si l’énergie du ressort qu’elle développe ne crée pas cent fois plus de valeurs dont la société profite que les systèmes qui mettent la masse en possession du sol. En toute matière sociale, c’est par ce calcul de compensations que la vérité se dégage. On en vient toujours à rechercher ce qui, en définitive, l’emporte du bien ou du mal, et je ne sache pas d’autre manière de répondre aux critiques qu’on a faites de la propriété, de la famille et de toutes les autres institutions sociales. Enfin, ce fait particulier tient à quelque chose de plus général : nous voulons dire ici au système, ou, si l’on veut, au problème de l’inégalité des conditions. La rente du sol ne serait, dans cette explication, qu’un cas spécial du monopole. C’est ce que l’auteur appelle encore « une généralisation un peu superficielle. » Qui sait pourtant si ce ne serait pas, au contraire, la plus haute formule du fait à légitimer? Sans contester les différences que présente le fait spécial de la culture des terres avec les autres faits économiques où la rente apparaît, ceux-ci n’en ont pas moins une grande analogie avec ce qui se passe pour le sol et souvent la plus réelle importance. C’est ainsi que l’industrie a aussi sa rente. On découvre cet élément dans tous les ordres de transactions et particulièrement dans le prix qui s’attache aux œuvres et à certains services rémunérés. Un artisan habile touche une vraie rente pour son talent sans qu’il ait fait un effort ou une avance de plus que l’ouvrier moins bien doué par la nature. Qui ne sait que l’inégalité des rétributions à égalité de travail et de capital avancés prend des proportions souvent énormes dans les travaux que nous payons directement ou dont nous soldons les produits ? Le monopole de ces vins exquis que nous citions est-il plus surprenant que celui qui fait attribuer à une cantatrice ou à une danseuse un revenu de 200,000 ou 300,000 francs? Les différences d’un individu à un autre pour les dons de nature et pour les avantages qui en résultent ne constituent-elles pas tout un système d’inégalités, c’est-à-dire de privilèges et d’infériorités dont certaines définitions de la justice s’accommoderaient fort mal ? Pourtant, en quoi la beauté de