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comme Marinette, jouées d’original par Madeleine Béjart, on est en droit de croire qu’un peu du caractère de l’actrice se retrouve dans les rôles qu’elle incarna la première.

Mais déjà Molière prépare son retour à Paris ; il n’a plus qu’un an et demi à passer en province. De Béziers, la troupe revient à Lyon, où s’écoule pour elle l’année 1657, coupée par quelques voyages aux alentours, notamment dans le Comtat, où Molière et Madeleine rencontrent Mignard. Ce fut pour tous trois le commencement d’une amitié solide et durable : le plus beau, le plus vivant portrait que nous ayons de Molière, est l’œuvre de Mignard, et Madeleine, à son lit de mort, désignera le peintre comme exécuteur testamentaire. Nous trouvons encore la troupe à Lyon au commencement de 1658. Il était impossible que, durant des séjours aussi fréquens et aussi prolongés, ces comédiens honnêtes gens, qui prélevaient sur leurs recettes de larges offrandes pour les hospices et les pauvres, n’eussent pas obtenu la considération et l’influence. Un petit fait qui précède leur départ de bien peu montre le cas que l’on faisait d’eux. Le 6 janvier, l’administration de l’aumône accordait une somme de 18 livres tournois à une pauvre veuve « recommandée par la demoiselle Béjarre, comédienne. » Ils partent enfin, après une représentation d’adieux donnée le 7 février, et vont attendre à Rouen que leur chef ait préparé leur venue à Paris. Lorsque Monsieur, frère du roi, leur a accordé « sa protection et le titre de sa troupe, » ils rejoignent Molière et débutent au Louvre devant Louis XIV, le 24 octobre 1658.


VI.

La situation des nouveau-venus était difficile en présence des deux anciens théâtres, qui, seuls ou à peu près, avec les comédiens italiens, avaient eu jusqu’alors le privilège de divertir les Parisiens. Il fallait se défendre contre la jalousie et attirer à soi, avec le même genre de spectacles, un public habitué de longue date à prendre le chemin de l’Hôtel de Bourgogne et de la salle du Marais. Si la troupe de Monsieur n’avait pas eu pour chef un homme de génie qui la pourvut de chefs-d’œuvre, elle renouvelait l’insuccès lamentable de l’Illustre Théâtre.

Son répertoire courant, les farces dont elle avait « régalé les provinces, » l’Étourdi et le Dépit amoureux lui suffirent pendant un an. Mais, à partir des Précieuses ridicules, représentées le 18 novembre 1659, les nouvelles comédies de Molière se succèdent avec rapidité. Dans les Précieuses, Madeleine jouait probablement Madelon qui, par ses affectations de langage, son entêtement de galanterie romanesque, ses grands airs, était une imitation