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étaient payées comptant, et le surplus, 3,750 livres, en une lettre de change tirée par Cassaignes sur Durfort. À l’échéance, refus de paiement de la part de celui-ci ; Madeleine le cite aussitôt devant la Bourse de Toulouse et y obtient contre lui jugement et prise de corps ; elle est enfin payée au mois de janvier 1658. Lorsque l’on examine d’un peu près le détail de cette affaire, on arrive naturellement à penser que, dans d’autres placemens, dans celui, par exemple, que l’on va voir, Madeleine opérait tout autant pour le compte de Molière que pour le sien propre, afin de lui éviter les tracas financiers. Ici, non seulement elle lui prête le concours le plus actif, mais, une fois la procédure engagée, elle se substitue à lui. Le 1er  avril 1655, à Montpellier, elle avait souscrit en son seul nom, pour une somme de 10,000 livres, à un emprunt contracté par la province de Languedoc. L’importance même de la somme fortifie l’hypothèse qu’ici encore elle agissait de compte à demi avec Molière. Si fructueuses, en effet, qu’aient pu être les recettes de la troupe depuis 1662, il est difficile d’admettre que la part d’une seule comédienne lui ait permis, toutes ses dépenses payées, de faire un pareil placement.

L’année 1656 se passe encore dans le Languedoc, année doublement heureuse, car Molière obtient sur le bureau des comptes une nouvelle assignation, de 6,000 livres cette fois, et payée comptant le 4 février, s’il faut en croire une quittance découverte en 1873 et qui serait le plus long des autographes de Molière ; et, en novembre ou décembre, il fait représenter à Béziers le Dépit amoureux. Des quatre rôles de femmes que renferme la pièce, un était rempli par Madeleine, puisqu’il n’y avait que quatre actrices dans la troupe. Mais lequel ? Sans aucun doute celui de Marinette, qui rentrait par excellence dans son emploi. Ce qu’elle y était, on le devine d’après le rôle lui-même. Marinette est la première en date des soubrettes de Molière, ces filles de vraie souche gauloise, drues et verdissantes, en qui circule et pétille un peu de la verve de Rabelais et des vieux fabliaux, tempérée par un génie moins exubérant et la culture d’un siècle assagi. Fines et franches, elles élèvent jusqu’à la poésie le clair bon sens et la joyeuse humeur de leur race, elles parlent la langue savoureuse et forte du peuple d’où elles sortent, elles jettent la gaîté de leur rire éclatant sur les vices et les ridicules qui sont le fond triste de la comédie et sur les amours parfois précieuses ou romanesques de leurs maîtresses. Molière avait du théâtre un sentiment trop sûr et tirait trop de son génie pour tailler exactement un rôle sur le caractère ou le talent de l’actrice qui devait le jouer. Mais il avait l’art de faire servir ses acteurs tout entiers, qualités et défauts, aux rôles qu’il leur confiait. Si donc l’on considère que la plupart de ses grandes soubrettes ont été,