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aux représentations de Scaramouche, le fils du tapissier Poquelin avait été mordu, lui aussi, par le démon du théâtre. Un beau matin, lorsqu’il eut atteint ses vingt ans, il déclarait à son père furieux et stupéfait qu’il voulait être comédien. La connaissance des Béjart ne fut pas étrangère à sa résolution ; ses biographes le donnent à entendre ou le disent expressément. On a supposé, non sans vraisemblance, que, dès sa première jeunesse, avant d’entrer au collège de Clermont, le fils du tapissier avait pu rencontrer les enfans de l’huissier des eaux et forêts dans les endroits où il fréquentait comme eux. D’autre part, en 1642, il suppléait son père, comme valet de chambre tapissier du roi, dans un voyage de la cour en Languedoc. Or il ne serait pas impossible que Madeleine Béjart ait fait, elle aussi, partie de ce voyage, avec une « bande de petits comédiens » pensionnés sur la cassette. Enfin, dans une énumération des principaux acteurs de Paris, Tallemant des Réaux dit à son sujet : « Elle est dans une troupe de campagne ; elle a joué à Paris, mais ç’a été dans une troupe qui n’y fut que quelque temps. Un garçon, nommé Molière, quitta les bancs de la Sorbonne pour la suivre. Il en fut longtemps amoureux, donna des avis à la troupe, et, enfin, s’en mit et l’épousa. » Les erreurs abondent dans ce peu de mots. Il est peu probable que Molière ait jamais étudié à la Sorbonne ; sa vocation pour le théâtre fut beaucoup plus prompte à se décider ; son amour pour Madeleine peut, comme on le verra, être mis en doute et, en tout cas, c’est donner à cet amour beaucoup trop d’importance que d’en faire la principale, la seule cause de sa résolution ; enfin, ce n’est pas Madeleine qu’il épousa, mais une de ses sœurs. Cette dernière confusion, en particulier, nous montre déjà avec quel soin il faut examiner les renseignemens que donnent les contemporains de Molière sur son mariage et l’origine de sa femme. La jalousie et la haine en ont visiblement inspiré plusieurs, mais d’autres, auxquels on se presse trop de croire, ne sont que des propos en l’air, ou des affirmations à la légère, comme celle de Tallemant. Les biographes du poète sont moins explicites ; en revanche, leurs indications s’accordent entre elles. On peut les résumer en disant que, vers la fin de 1642, Molière, entraîné par un amour irrésistible du théâtre, se joignit à une troupe d’amateurs, comme nous dirions aujourd’hui, « d’enfans de famille, » comme on disait alors, troupe dont Madeleine faisait partie ; et que ces amateurs, après avoir joué quelques mois pour leur seul plaisir, résolurent de transformer leur passe-temps en profession.

Au commencement de janvier 1643, Jean-Baptiste Poquelin obtenait de son père une somme de six cent trente livres, à valoir sur la succession de sa mère et le futur héritage paternel ; le 30 juin suivant, il signait avec trois des Béjart, Joseph, Madeleine, Gèneyiève,