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dominici carolingiens que la monarchie anglaise reprenait ; les dimensions du royaume s’y prêtaient mieux que celles de l’empire. En France, ils avaient depuis longtemps disparu. Au XIIIe siècle, les enquêteurs royaux de saint Louis ne sont qu’une institution éphémère qui ne survivra guère à ce prince. (Plus tard, ni les voyages des commissaires royaux, envoyés dans les provinces et dans les villes pour négocier l’impôt, ni, plus tard encore, les chevauchées des maîtres des requêtes n’eurent les caractères d’un établissement régulier ; c’étaient des missions de circonstance. Il n’en était pas autrement des Grands Jours, c’est-à-dire des sessions judiciaires tenues dans les provinces qui se trouvaient trop éloignées du parlement de Paris pour y porter commodément leurs appels. On pourrait dire, en empruntant une expression juridique, que l’instance supérieure de la justice royale était portable en Angleterre et quérable en France. Là, elle allait au-devant des justiciables ; ici, il fallait la venir chercher, et cela diminuait naturellement l’action et le crédit qu’elle pouvait avoir. La position des juges itinérans d’Angleterre était considérable. Quand ils tenaient leurs assises dans un comté, aucune immunité, aucune franchise baronniale ne dispensait de se rendre à leur cour. Personne, au moins à l’origine, n’échappait à leur juridiction. Ils jugeaient sur place, selon l’esprit du haut tribunal dont ils étaient membres, les appels des cours locales. On mesure sans peine le degré extraordinaire d’autorité et de prestige d’une royauté représentée dans toutes les parties du royaume par cette haute délégation, qui revenait périodiquement au centre prendre le mot d’ordre et se pénétrer de l’esprit du gouvernement[1].

Une royauté puissante et bien servie, un baronnage relativement faible, voilà deux traits importans qui opposent nettement l’Angleterre aux autres états européens. Un sentiment vivace et précoce de l’unité nationale n’est pas une particularité moins notable et moins distinctive. On sait que les premiers envahisseurs germains de la Grande-Bretagne, Jutes, Angles, Saxons, et jusqu’aux Danois, sortent du même fond bas-allemand, qu’ils se sont établis dans l’une des moins profondément latinisées des provinces romaines, que la lenteur de leur conquête et l’énergie de la résistance ont abouti à l’extermination ou au cantonnement rigoureux des peuplades celtiques et à la destruction de tous les monumens de la civilisation antérieure, en sorte que nulle part ne s’est rencontrée une race moins mélangée et qui ait conservé plus entier son type originel. De ce caractère particulier de l’invasion saxonne, je ne

  1. Stubbs, I, 605 et suiv.