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vicomte. Ce personnage n’était nullement subordonné au comte, comme son nom parait le donner à entendre. Il dépendait directement du gouvernement central. Ses rapports avec les comtes, les prélats et les barons de son comté étaient ceux d’un fonctionnaire avec des particuliers puissans et suspects qu’il surveille avec déférence jusqu’au jour où il est appelé à les combattre. Il leur transmettait les ordonnances royales. L’expression « la force et la justice du roi et du vicomte[1] » indique bien qu’il n’y avait pas d’intermédiaire entre le roi et son représentant local. Les grands vassaux avaient essayé de s’approprier cet office important, à la fois militaire, judiciaire et fiscal. Dans certains comtés, ils étaient parvenus à se le faire concéder à titre héréditaire. Mais ces usurpations restèrent des cas très rares. Presque partout les vicomtes ou shérifs continuèrent à être des fonctionnaires royaux, nommés annuellement et tenus de très court par le gouvernement central. A partir de 1170, il devient de règle de ne plus prendre les shérifs parmi les barons, mais parmi les officiers de justice[2]. A plusieurs reprises, les shérifats sont suspendus et l’intérim est fait par des juges détachés de la cour du roi, lesquels, à deux, gèrent jusqu’à onze comtés. A tout propos, je vois que le roi gourmande ses vicomtes, les déplace, les destitue en masse ou en détail. Au siècle suivant, leur autorité est déjà sensiblement restreinte, mais leur activité est encore incessante et multiple. Plus tard lu royauté, autrement pourvue, diminuera systématiquement leurs attributions. Au cours du XIIIe siècle, leur position correspond assez exactement à celle des baillis ou sénéchaux qui administraient en France le domaine royal. Mois ils n’administraient pas seulement comme en France une section limitée du sol national ; on les rencontrait d’une extrémité à l’autre de l’Angleterre ; ils rendaient la couronne présente dans les parties les plus reculées du territoire. Ils exerçaient en son nom les nombreuses attributions qui leur étaient confiées et leurs disgrâces même faisaient partout sentir sa force et reconnaître son autorité.

L’organisation administrative de la monarchie anglaise se compléta de bonne heure par la création des juges ambulans ; ces officiers servaient de lien entre le gouvernement central et le gouvernement local. On les voit paraître sous Henri Ier, moins d’un siècle après la conquête. Ils font généralement partie de la cour du roi, où ils reviennent siéger après leurs tournées. C’étaient les missi

  1. Ordonnance de Guillaume Ier, séparant les juridictions spirituelles et temporelles. (Stubbs, Sel. Charters.)
  2. Stubbs. I. 474.