Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’a guère de plaisirs, il ne boit pas de vin :

J’ai banni loin de moi cette liqueur traîtresse
Qui nourrit des humains la brutale mollesse.


Que lui reste-il ? L’amour :

L’amour seul me console ; il est ma récompense.
L’objet de mes travaux, l’idole que j’encense,
Le dieu de Mahomet… et cette passion
Est égale aux fureurs de mon ambition.


Voilà le héros, voilà le monstre lui-même. A considérer ce caractère, on devinerait la qualité de ceux qui l’entourent ; mais, plutôt que des semblans de personnes, ce ne sont que des réflecteurs et des échos. Chef et comparses, dans quelle action, d’ailleurs, sont-ils engagés ? Comme il faut, pour la perfection de ce Mahomet, que

Son triomphe un tout temps soit fondé sur l’erreur,

il a laissé ignorer à Séide, à Palmyre, deux captifs élevés dans son camp, qu’ils sont frère et sœur, et que Zopire est leur père. Il a permis ainsi, quoiqu’amoureux de Palmyre, qu’un sentiment trop tendre unît ces enfans ; il abuse de son prestige sur le jeune homme pour lui faire coin meure un assassinat qui se trouve un parricide, en lui promettant un mariage qui serait un inceste. Il le fait empoisonner ensuite ; et, à la fin, il en est pour ses frais de crimes ; il reste, bouche bée, devant la jeune fille qui s’est jetée sur le poignard de son frère.

En quels termes, du moins, ces choses-là sont-elles mises ? Les réminiscences de Corneille et de Racine abondent : imitations d’Horace, et de Cinna, et de Polyeucte, et d’Andromaque, et d’Athalie. Pour recommencer les imprécations de Camille, c’est à peu près l’apostrophe de Pauline à Félix que Voltaire a daigné reprendre ; pour l’achever, c’est l’invective d’Agrippine à Néron. Mais qu’importeraient ces entre-deux d’emprunt si la trame de tout le style était bonne ? Hélas ! on ne sait de quoi s’émerveiller davantage, de l’impropriété des mots et de la faiblesse de l’expression, ou de la misère des rimes et de l’infirmité des vers. Pourtant, après réflexion, c’est le dégoût de ce jargon, plutôt que le mépris de cette prosodie, qui domine. On se fatigue, sans doute, d’entendre alternativement, à la fin de la mesure, « malheureux » s’accorder avec « douloureux » et avec « affreux ; » on souffre de ces hémistiches tonus qui s’enfoncent comme un vilebrequin dans l’oreille :

Tu verras de chameaux un grossier conducteur…