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par l’imagination un monde moral meilleur, plus élevé et plus délicat ?

Les femmes arabes qui, durant les premières années de leur jeunesse, ont souvent un grand charme, une rare perfection de formes, de l’élégance dans la démarche et le maintien, et surtout une fascination étrange dans le regard, perdent vite leur beauté : de bonne heure, le défaut d’exercice, les grossesses ou les pratiques abortives ruinent leur santé et défigurent leurs traits ; et leur physionomie ne respire plus qu’une indifférence stupide, une apathie absolue et une grossière sensualité.

… Rabat est depuis des siècles le centre de l’industrie des tapis au Maroc, et ses artisans ont produit autrefois des chefs-d’œuvre qui peuvent rivaliser avec ceux du Kurdistan, de Mesched et de Ferhan. C’étaient des tapis d’un tissu ras et moelleux, d’une richesse de dessin qui, sans dégénérer jamais en mauvais goût, admettait la plus libre fantaisie, d’une ordonnance savante dans la composition et surtout d’une harmonie de couleurs qui éblouissait l’œil et le charmait à la fois. Les ouvriers de Rabat étaient, en outre, d’admirables chimistes, et les couleurs qu’ils employaient conservent encore une solidité, un éclat incomparables. La tradition de cet art s’est perdue ; les tapis que l’on fait aujourd’hui sont mal dessinés, les tons s’y heurtent sans transition, et, un an à peine après leur confection, les couleurs ont passé pour prendre une teinte jaune ou verdâtre.

… Près de Chellah sont enterrés les anciens sultans du Maroc. Leurs tombes en ruines sont enfouies dans des bouquets de figuiers et d’orangers qu’ombragent de hauts cyprès. L’endroit est abandonné ; la végétation a tout envahi. Il s’exhale de ce cimetière délaissé une grande mélancolie qui n’est pas sans charme. On se laisse aller à penser que ceux qui reposent là ont connu l’empire du Maghreb dans son éclat et sa puissance, que leur histoire a eu des pages non moins brillantes que celles des grands califes abbassides, et qu’il ne leur a manqué qu’un Maçoudi pour les chanter aussi dans ses Prairies d’or. On se rappelle enfin que cette race arabe, si avilie, si dégradée aujourd’hui, a été à d’autres époques une race d’artistes, de poètes et de savans, qu’elle eut un sentiment délicat du beau, une grande douceur de mœurs, des habitudes de société très raffinées, qu’elle réunit en un mot tous les élémens d’une civilisation brillante, a d’une civilisation, comme le dit M. Renan, où, en de certaines heures, on se surprend à désirer d’avoir vécu. »