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atteint par la colonisation punique. Les Romains, qui s’y établirent par la suite, ne plantèrent jamais plus loin leurs aigles et marquèrent là la frontière méridionale de la Tingitane impériale. A partir d’ici, nous rentrons donc dans les limites du monde ancien et nous en retrouvons les traces, puissamment imprimées, dans les débris antiques déterrés à Chellah : ce sont des murs recouverts encore de leur pavimentum, des voûtes construites en pierres de grand appareil, un aqueduc en ruines, des fragmens de statues.

Le fils du ministre des affaires étrangères, Sidi-Bargash, avisé de notre passage à Rabat, nous a invités à dîner. C’est pour nous une excellente occasion de voir un intérieur maure confortable et luxueux ; car les maisons que nous avions pu visiter précédemment à Tanger n’offraient que peu d’intérêt. Tanger est, en effet, considérée comme la ville impure du Maghreb, une cité où les chrétiens ont leur franc parler, où les juifs osent passer sans se déchausser devant les mosquées. Aussi, les seuls Maures qui consentent à y vivre sont ceux que leurs fonctions officielles y retiennent, et ceux-ci mêmes affectent de n’y avoir qu’un pied-à-terre : leur véritable installation, leurs femmes, leurs enfans demeurent à Tétuan, à Rabat, à Fez et à Salé.

La demeure de Sidi-Bargash, à Rabat, est bâtie en pierres de taille, et, du dehors, elle a cet aspect triste de toutes les maisons arabes qui sont disposées de manière à cacher absolument la vie privée des habitans. Pas de fenêtres sur la rue, ou, tout au plus, deux ou trois lucarnes grillées. On n’aperçoit aucun de ces élégans moucharabiehs qui décorent d’une façon pittoresque les rues des villes musulmanes dans le reste de l’islam, mais dont l’usage est peu répandu au Maroc.

Par une porte ornée de ferrures on entre dans un long vestibule resserré, formant deux angles droits de façon que, de la rue, on ne puisse jamais rien apercevoir de ce qui se passe à l’intérieur ; une grosse lanterne, en forme de kouba, éclaire ce couloir et fait miroiter les faïences qui lambrissent les parois. On parvient ainsi dans une cour étroite, entourée de portiques sur les quatre côtés et rappelant tout à fait les dispositions de l’impluvium des maisons romaines ; elle est pavée de mosaïques ; les murs sont recouverts jusqu’à 1m, 50 du sol d’azulejos, vert émeraude, blanc laiteux, ou bleus, d’un bleu foncé jusqu’à paraître noir. Dans un coin, une fontaine verse continuellement une eau claire qui vient couler par des rigoles de marbre jusqu’en un bassin situé au milieu de la cour. Les pièces qui s’ouvrent et prennent jour sous ce portique sont uniformément blanchies à la chaux et n’ont d’autre décoration que les sculptures de leurs plafonds, où l’on peut admirer sans se lasser la merveilleuse fantaisie de l’imagination arabe. Des