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de soie verte. Le reste du mobilier est étrange : dans un coin, une grande pendule posée à terre, — en face, une armoire vitrée, présent de quelque souverain européen, — au pied du trône un crachoir en fer-blanc placé près des babouches du maître.

Mouley-Hassan parait avoir quarante-cinq ans ; ses traits sont réguliers, à l’exception des lèvres, qui sont lippues et qui témoignent que le sultan n’est pas de pure race arabe et que du sang nègre coule dans ses veines ; la peau est brune, tachetée par la petite vérole ; les yeux sont grands, clairs et très doux ; la physionomie est intelligente. Un haïck de laine blanche enveloppe la tête et recouvre tout le reste du corps, laissant entrevoir par endroits une robe de drap jaune, lisérée de vert sur les coutures. Les pieds, blancs et soignés comme des mains de femme, sont nus et découverts.

Le drogman explique longuement au sultan les motifs qui nous ont déterminés à venir conférer avec lui ; il expose nos griefs et, avec toute la phraséologie orientale, il rappelle à sa majesté que la France est une puissante nation et que son amitié vaut qu’on la mérite…

… L’entretien est terminé, nous allons nous retirer ; mais, d’une voix très douce et insinuante, Mouley-Hassan nous prie de retarder encore de quelques jours notre départ de Maroc, il veut que nous emportions d’agréables souvenirs de son hospitalité ; « d’ailleurs, ajoute-t-il avec un air mystérieux, vous ne pouvez pas partir avant deux jours. » Nous prenons enfin congé de sa majesté et nous rentrons avec la même solennité dans notre palais.


Maroc, le 16 mars.

De grand matin, le kaïd-el-Mechouar est venu nous chercher pour nous mener hors de Maroc dans un palais où le sultan nous a fait préparer un repas et une fête. L’Atlas, couvert de neige, s’élève au loin dans les vapeurs rosées du matin, le ciel est encore laiteux et noyé dans une brume transparente ; l’air est frais et vif.

Au fond d’un bois d’orangers et de citronniers, que dominent des bouquets de palmiers et que traversent en tous sens des eaux courantes, un pavillon est préparé et une table est dressée. A peine y avons-nous pris place qu’un caïd, en grand costume bleu d’argent, couvert de haïcks blancs, la tête ceinte d’un large turban, s’avance majestueusement. Il est suivi par cinquante esclaves nègres portant sur leurs têtes de larges plats, recouverts d’un couvercle conique en palmes tressées.

Tout ce cortège défile devant nous et fait face à la table sur quatre rangs ; puis, sur un geste du kaïd, les esclaves posent leurs plats