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déchire : les contours de la côte apparaissent, et les premiers rayons du soleil levant éclairent d’une lueur rose les sables de la plage et les collines basses qu’on aperçoit au second plan.

Le soleil est déjà haut sur l’horizon et nous nous sommes rapprochés de la terre. On distingue maintenant avec une grande netteté les sinuosités de la côte, la surface rocailleuse des collines et la verdure de la campagne, qui disparaît par endroits sous de larges taches jaunes. L’eau de la mer est comme du lapis-lazuli, et, dans le sillage du navire, les dauphins viennent s’ébattre. Cependant, à l’approche de la terre, la mer prend une teinte verte, puis gris argenté, qui va se fondre avec la bande jaune des sables.

Vers midi, nous apercevons enfin une grande tache blanche miroitant au soleil. Ce sont les deux villes de Rabat et de Salé, les villes saintes du Maroc. Elles sont situées, se faisant face, à l’embouchure d’une rivière. Les fortifications, avec leurs angles précis, leurs arêtes nettement dessinées, se découpent sur le bleu du ciel, et les pierres des murailles ont toute une gamme de tons qui va du rouge brique aux roses les plus délicats du corail.

Rabat et Salé n’ont pas de port, et les navires qui, à de rares intervalles, viennent y faire le commerce, doivent rester sur leurs ancres à près d’un mille de la côte. Tandis que la Meurthe débarque les quelques marchandises qu’elle doit y déposer, je regarde les marins arabes qui sont venus les chercher à son bord, sur leurs barcasses plates ; ce sont de vrais types de forbans, le teint basané, la physionomie sauvage, la tête couverte d’un turban qui accentue leurs traits. Ils sont vêtus de loques rouges, jaunes ou vertes, dont les couleurs ont pris, sous la double influence du soleil et de l’eau de la mer, des tons passés ou roussis qui feraient les délices d’un peintre. Ces marins descendent des fameux pirates salatins qui, jusqu’au commencement de ce siècle, cannaient les parages du Maroc. Les navires hollandais ou anglais qui venaient des Indes ou de l’extrême Orient savaient par une dure expérience que, depuis les îles Canaries jusqu’à hauteur du détroit de Gibraltar, ces forbans les guettaient an retour et qu’il faudrait chèrement leur disputer le passage. Le produit de leurs déprédations venait s’accumuler dans leur château de Rabat, où la tradition locale veut que d’immenses trésors soient encore enfouis. C’est par eux certainement qu’ont été introduits au Maroc ces merveilleux plats de Chine que’ l’on y trouve si fréquemment et auxquels leurs possesseurs attachent tout juste autant de prix qu’à la plus grossière faïence de Fez ou de Tétuan.

… Ce n’est que tard dans la nuit que nous appareillerons, de manière à arriver le lendemain soir à Mazagan, le terme de notre voyage maritime. La Meurthe se balance très lentement sur ses