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Tanger, le 27 février.

Une dépêche est arrivée de Paris : le premier secrétaire, de la légation et moi, nous avons l’ordre de nous rendre en mission à Maroc, à la cour du sultan, pour y régler directement avec lui une question pendante entre les deux gouvernemens. Mon collègue et ami, M. Monfraix, premier secrétaire, aura la direction de la négociation. Nous emmenons un drogman, un médecin militaire français, tout un personnel de domestiques. C’est un voyage qui sera long et pénible ; car la ville de Maroc est à près de 200 lieues dans l’intérieur des terres. Un navire qui est en partance sur la rade de Tanger nous mènera jusqu’à Mazagan, à 130 lieues vers le sud, le point de la côte le plus voisin de la capitale des chérifs. Là, les autorités marocaines nous prépareront une caravane officielle avec une escorte pour nous faire franchir les six ou sept journées de marche qu’il nous restera à parcourir. Au retour, aucun navire ne sera sans doute en vue sur la côte ; la voie de mer nous sera donc fermée et nous nous verrons obligés de revenir par terre jusqu’à Tanger, soit environ vingt jours de marche.


28 février, 4 heures du soir.

L’appareillage est terminé ; la Meurthe lance un coup de sifflet et arbore au grand mât un pavillon tricolore pour signaler la présence à son bord d’une mission diplomatique. La légation de France hisse à son tour son pavillon et nous en salue par trois fois.

La vague courte et brisée du détroit de Gibraltar secoue fortement notre navire et fait craquer sa forte charpente. Mais bientôt nous entrons dans l’Océan-Atlantique, et ce n’est plus qu’un lent balancement sous la poussée de la grande houle qui vient du large. Le cap Spartel est déjà dépassé et n’apparaît plus que vaguement dans la brume qui se lève sur les côtes. Tout à coup, au moment où le soleil, là-bas vers l’ouest, se plonge dans la mer, une lueur rouge brille sur le cap : c’est le phare que quelques puissances européennes ont construit et entretiennent à leurs frais sur cette pointe extrême de l’Afrique où tant de vaisseaux sont venus se jeter et se perdre.


1er mars, 5 heures 1/2 du matin.

Le jour se lève. Nous sommes à quelques milles à peine de la terre : une ligne violette se dessine faiblement au-dessus de la mer à travers des vapeurs flottantes. Bientôt ce brouillard léger se