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pour adoucir ces misères : on ne saurait trop faire. Rien ne doit rebuter dans l’accomplissement de cette tâche, pas même l’injustice ou l’ingratitude. Mais il s’agit en premier lieu de n’aller qu’au possible ; en second lieu, de ne pas se tromper dans le choix des remèdes. Or, avant d’étudier ceux qu’on propose d’appliquer par voie législative, il faut remarquer d’abord que, si tous les maux doivent exciter notre pitié, tous ne peuvent pas être guéris. Il y a des fatigues et des souffrances inhérentes au travail du mineur et que la toute-puissance de l’état, même secondée par la charité la plus parfaite et par la science la plus éclairée, ne supprimera jamais. L’ouvrier mineur garderait encore, assurément, le droit de s’en plaindre, s’il était assujetti, comme l’esclave antique, à des travaux obligatoires. Mais il est libre de se soumettre à ce rude labeur, libre de l’abandonner. S’il descend dans la mine, ce n’est ni par contrainte ni par surprise. Il peut, s’il le juge convenable, respirer le grand air et vivre au soleil, car le travail agricole sollicite ses bras sur toute la surface du territoire français. S’il lui préfère un travail à la fois plus lucratif et plus dur, c’est de son plein gré.

Il importe, en second lieu, pour résoudre le moins mal possible ce problème d’économie sociale, de ne pas mettre en état de perpétuel antagonisme les intérêts des propriétaires et ceux des ouvriers mineurs. Il n’y a pas de conception plus étroite et plus fausse. Ces intérêts sont quelquefois distincts, plus souvent semblables. Je suis heureux de rencontrer l’expression de la même idée dans les Cahiers de doléances : « Le prolétariat français, y lit-on, sait aujourd’hui, grâce à de terribles expériences, que les conditions économiques d’un pays ne s’améliorent que par l’accord de tous… S’il existe, y lit-on encore, quantité de métiers susceptibles d’un exercice restreint, quoique fécond et rémunérateur, il en est beaucoup d’autres… où l’effort individuel ne pourra lutter, où même l’énergie collective d’un groupe d’ouvriers restera vaincue par la nature des choses. Les mineurs de houille, spécialement, ne pourront jamais réunir les ressources indispensables à l’exploitation d’une mine… Ils sont condamnés à demeurer les serviteurs du capital… » Or, si pour améliorer la condition des mineurs, on commence par ruiner la mine, qui réunira ces ressources et que deviendra le mineur ? Si, les frais de production s’étant accrus, telle exploitation est écrasée sous la concurrence intérieure ou l’ensemble des exploitations est écrasé sous la concurrence étrangère, que deviendra le mineur ? On ne peut sans avoir posé ces questions générales aborder utilement l’examen des questions spéciales sur lesquelles les pouvoirs publics auront à se prononcer.