Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou ruiner la mine. Ils n’hésiteront pas, selon toute vraisemblance, à prendre le second parti. Les gîtes de minerai, pour être susceptibles d’une exploitation durable, doivent être exploités d’une certaine manière et, par exemple, attaqués non de haut en bas, mais de bas en haut : au grand détriment de la richesse publique, on rendra par une exploitation excessive toute exploitation ultérieure du minerai impossible ou très difficile ; on dévorera, pour obéir aux exigences de l’heure présente, le patrimoine de plusieurs générations. Certains publicistes croient répondre à ces objections en proposant de conclure avec les « adjudicataires » des baux à long terme. Ils supposent assurément que la mine ne doit pas être épuisée avant la fin du bail ; car, s’il en était autrement, la concession perpétuelle n’offrirait pas plus d’inconvéniens que la concession limitée. Or il y a dans ces baux, quelque longs qu’on les suppose, une période finale pendant laquelle le preneur est naturellement pressé de jouir, délaisse les points les moins accessibles, attaque systématiquement les parties riches de la mine, évite les déboursés, même urgens, dont il ne peut pas tirer un bénéfice immédiat. Notre loi de 1791 n’investissait les concessionnaires que pour cinquante ans : les économistes et les ingénieurs blâmèrent à l’envi une innovation qui conduisait au « gaspillage » des mines, et déclarèrent que la sécurité, la prospérité de la propriété minière, étaient liées à la perpétuité du droit. C’est l’expérience même de ce système bâtard qui dicta, dix-neuf ans plus tard, le système des concessions perpétuelles. On la recommença néanmoins, après la conquête de l’Algérie, où la durée des concessions fut limitée d’abord à quatre-vingt-dix-neuf ans[1] : il fallut, au bout de vingt ans, « pour donner aux exploitations l’impulsion que réclamait l’intérêt public, » rendre notre législation générale exécutoire en Afrique et bientôt après, en 1855, reconnaître propriétaires incommutables les concessionnaires mêmes dont le titre était antérieur à la promulgation de la loi du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété en Algérie.

C’est qu’en effet il ne peut pas y avoir deux classes d’exploitans. Si l’on se résigne à laisser les anciens concessionnaires vivre en paix sous le régime libéral de 1810, les « adjudicataires pour un temps limité, » simples fermiers de l’état, ne pourront pas soutenir la concurrence, même à l’intérieur, et succomberont vite dans une lutte inégale. C’est ce qu’ont aisément compris les auteurs des propositions présentées le 15 mars 1884 à la chambre des députés. « Les concessions déjà accordées feront retour à la nation, » disent MM. Brousse et Giard.

  1. La commission des mines de l’Annam et du Tonkin n’a pas commis cette faute. Voir le rapport de M. Lamé-Fleury.