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initiative de trois hommes de cœur, d’Armandy, Jusuf et Fréart, entrait, grâce au zèle intelligent d’un chef éclairé, dans une ère ouverte aux plus belles espérances.


V

Si le ministre de la guerre en avait cru le duc de Rovigo, il aurait rappelé en France les commandans de Bône et d’Oran. Pour le premier, c’eût été une injustice absolue, car, malgré les froissemens que lui infligeait la correspondance malveillante du général en chef, le général Duzer n’avait jamais cessé d’y répondre avec la déférence d’un subordonné. Du côté d’Oran, il n’en était pas de même. Lieutenant-général, autorisé à correspondre directement avec le ministre de la guerre, le général Boyer prétendait à l’indépendance ; à peine daignait-il informer de temps à autre le duc de Rovigo de ce qui se passait dans son commandement. Il y eut longtemps, d’ailleurs, peu de chose à mander : l’arrivée du général de Trobriand, le débarquement successif de renforts qui portèrent à plus de 2,500 hommes l’effectif de la garnison, en particulier celui d’un détachement de 450 cavaliers démontés envoyés de France pour former le noyau du 2e régiment de chasseurs d’Afrique, une solde régulière accordée aux Turcs de Mostaganem qui s’étaient soumis à la France, des envois de soufre et de salpêtre aux coulouglis de Tlemcen qui tenaient bon dans le Mechouar contre les attaques et les intrigues des partisans du Maroc.

Ce n’était pas seulement à Tlemcen que ceux-ci intriguaient ; ils avaient étendu leurs trames jusqu’à Mascara, jusqu’à Miliana, jusqu’à Médéa même. Dans cette dernière ville, qui avait chassé Oulid-bou-Mezrag, dont la conduite licencieuse scandalisait les bons musulmans, s’était installé comme chez lui un chérif marocain, El-Moati ; de même, à Miliana, qui avait reçu sans opposition un autre envoyé du Maroc, Mohammed-Ben-Chergui ; à Mascara, le lieutenant du sultan, El-Hameri, était moins à son aise ; il y était bloqué par les tribus qu’il avait rançonnées et compromises dans sa première chevauchée contre Oran. Un tel état de choses ne pouvait pas être toléré par la France. Au mois de mars 1S32, le comte de Mornai, gendre du maréchal Soult, fut envoyé en mission extraordinaire à Tanger avec ordre d’exiger le rappel de tous les agens marocains dispersés sur le territoire algérien et la renonciation formelle du sultan de Fez à toute prétention sur la régence, en particulier sur le beylik d’Oran et tout spécialement sur le territoire de Tlemcen. Cette mission, appuyée par la présence comminatoire d’une escadre, fut couronnée de succès. Évadé de Mascara, El-Hameri s’était arrêté à Tlemcen ; il lui coûtait beaucoup d’abandonner une ville