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passait par Haouch Rassauta, coupait obliquement la plaine du nord-est au sud-ouest et venait par Birtouta se terminer à Douéra. Une enceinte palissadée, destinée à recevoir la récolte, fut ajoutée au" fort de l’Eau, que le génie mit en état de recevoir une garnison permanente et que l’artillerie arma de fusils de rempart. Haouch Rassauta fut approprié au logement de la cavalerie, qui pendant la fenaison devait occuper ce poste, à côté des campemens marqués pour l’infanterie de la première brigade et pour l’artillerie. Entre Haouch Rassauta et la Maison-Carrée, une ligne de communication défilée de la plaine était indiquée sur le revers nord des collines qui bordent la mer.

Malheureusement le duc de Rovigo venait de tacher encore une fois son commandement par une exécution qui rappelait l’odieux souvenir d’El-Ouffia. Parmi les chefs arabes qui affectaient de se tenir loin d’Alger, deux surtout, El-Arbi-ben-Mouça, ancien kaïd de Beni-Khélil, et Meçaoud-Ben-Abdeloued, kaïd d’Es-Sebt, c’est-à-dire de la plaine Hadjoute, irritaient les ressentimens du commandant en chef. Voulant à tout prix les attirer sous sa griffe, il adressa au kaïd de Khachna, leur ami, une lettre qui pour eux devait avoir la valeur d’un sauf-conduit ; les termes, au témoignage de l’interprète qui l’avait écrite, étaient aussi nets et aussi explicites que possible. Ils vinrent ; à peine arrivés, ils furent arrêtés, jetés en prison, traduits devant un conseil de guerre. Le kaïd de Khachna, indigné, demandait qu’on lui fit partager leur sort. De toute part venaient des lettres de sollicitation en leur faveur. Arrêtés au mois de décembre 1832, ils furent jugés, condamnés, exécutés au mois de février 1833. Comme dans l’affaire d’El-Ouffia, les juges craignirent, en absolvant les accusés, de condamner le commandant en chef ; ils le condamnèrent bien plus sûrement et se condamnèrent eux-mêmes, complices d’une perfidie, coupables avec lui de la foi violée. Longtemps parmi les Arabes les noms d’El-Arbi et de Meçaoud furent invoqués et servirent de cri de guerre à leurs prises d’armes.


IV

D’Alger passer à Bône, c’est passer tout à coup de Machiavel à l’Arioste, de la réalité morose aux aventures héroïques d’un roman de chevalerie. Depuis le mois de septembre 1831, depuis le jour fatal qui avait vu la fin tragique du capitaine Bigot et du commandant Huder, les gens de Bône, trompés par le Turc Ibrahim, l’auteur du guet-apens, rançonnés par lui, sous la menace du canon de la kasba, n’osaient même pas quitter la ville, car ils redoutaient