Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est créées le plus souvent par ses indécisions et ses contradictions. L’Angleterre, cela n’est pas douteux, a éprouvé en Égypte une série de mécomptes militaires et diplomatiques assez cuisans pour son orgueil, et elle a eu de plus, tout récemment, l’ennui d’être en querelle avec M. de Bismarck, qui n’entend pas être contrarié sur sa politique coloniale. Le cabinet de Londres, il est vrai, s’est tiré à demi de ce mauvais pas en se hâtant de faire sa paix avec le chancelier d’Allemagne, de regagner les bonnes grâces de M. de Bismarck, et, d’un autre côté, s’il n’a pas réparé encore les échecs militaires de la campagne du Soudan, il a réussi enfin à conclure avec les grandes puissances de l’Europe une convention préparée depuis bien des mois pour le règlement des affaires financières de l’Égypte. Sur ce point, il a fait des concessions nécessaires, il en a obtenu des autres cabinets. L’esprit de conciliation a prévalu : la convention qui règle ces conditions nouvelles de la dette égyptienne, qui maintient les droits de contrôle de l’Europe est le prix de ces bonnes dispositions, et, de plus, il a été convenu qu’une conférence, qui se réunit en ce moment même à Paris, aurait la mission « d’établir le régime définitif destiné à garantir en tout temps et à toutes les puissances le libre usage du canal de Suez. » De ce côté du moins, la question est à peu près tranchée, et le chef du cabinet, M. Gladstone, a même obtenu, non sans quelque peine, il est vrai, du parlement la sanction de l’œuvre de diplomatie qu’il a négociée avec l’Europe ; mais tandis que l’Angleterre en finissait avec cette partie des difficultés qu’elle a en Égypte, elle se trouvait subitement engagée dans cet autre conflit des frontières de l’Afghanistan, qui n’a point, certes, moins d’importance pour ses intérêts, pour sa domination dans l’Inde, et qui a pris en peu de jours un assez inquiétant caractère.

Ce n’est point sans doute que cette querelle des deux grandes puissances asiatiques qui se rencontrent aujourd’hui face à face ait précisément rien de nouveau. Elle existe depuis longtemps, et la marche des choses ne fait nécessairement que l’accentuer et l’aggraver. Un des plus brillans officiers de l’armée anglaise tué récemment dans un des combats livrés sur le Nil, le colonel Burnaby, qui avait fait, il y a quelques années, un voyage fort aventureux dans l’Asie centrale et qui en a raconté les péripéties sous le titre d’une Visite à Khiva, disait, non sans un certain sentiment d’anxiété, dans sa relation : « Quand donc les limites de l’empire russe seront-elles atteintes ? Où seront-elles fixées ? Sera-ce à l’Himalaya ou à l’Océan-Indien ?… » C’est justement l’art de la Russie de s’avancer depuis bien des années au centre de l’Asie, sans s’arrêter, sans dévier, et de ne jamais fixer le point où son ambition reconnaît des limites. Elle s’est toujours étudiée à déguiser sa marche et à n’avouer ses conquêtes que lorsqu’elles étaient