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de voir par une cruelle expérience ce que coûtent les demi-mesures ; il n’y a plus aujourd’hui qu’à se décider virilement. C’est le premier point ; mais il y avait aussi évidemment une autre question qui ne pouvait être éludée, qui était dans tous les esprits, celle de la responsabilité du gouvernement qui a préparé au pays ces amertumes. Cette question, elle a été tranchée dès la première entrevue du cabinet avec le parlement. A peine la chambre a-t-elle été réunie hier, le ministère n’a pas eu longtemps à attendre ; il a été exécuté sur l’heure dans la personne du président du conseil, qui n’a plus eu qu’à porter sa démission à l’Elysée, à M. le président de la République, qui n’est pas l’homme le moins embarrassé de France en ce moment. Le ministère est tombé, a disparu pour ainsi dire sous le poids de ses fautes. La question est jugée. Seulement, ce serait une étrange méprise de se figurer qu’il suffirait de mettre à la place de M. Jules Ferry un autre président du conseil avec de nouveaux ministres ou même avec quelques-uns des ministres d’hier pour dénouer cette crise. C’est là justement la difficulté. Si on ne se décide pas à changer d’idées et de système, à porter au gouvernement un esprit nouveau, un sentiment supérieur des intérêts publics, on est condamné d’avance à ne rien faire, — si ce n’est peut-être à préparer au pays de plus dangereuses complications, des humiliations nouvelles.

Auprès de ces cruels incidens qui émeuvent la France depuis quelques jours, nos petits conflits, les médiocres agitations et les tactiques de nos partis pâlissent singulièrement, on en conviendra. Qu’en est-il de tout cela, et du conflit qui a existé un moment entre le sénat et la chambre des députés pour le budget, et de cette réforme ou de cette prétendue réforme électorale qui vient d’être discutée, votée au Palais-Bourbon ? Il est certain tout d’abord que cette question des prérogatives financières du sénat qui s’est récemment agitée, qui a mis en présence les deux assemblées, avait une assez sérieuse importance, qu’elle touche en réalité à toute la politique. Elle s’était engagée dans les termes les plus simples. Le sénat, on le sait, avait cru devoir rétablir modestement, sans aucune apparence de défi, dans le budget, un certain nombre de crédits affectés aux services des cultes et supprimés sommairement, sans plus de façon, par la majorité républicaine de la chambre des députés. Il l’a fait parce qu’il était dans son droit et dans son rôle, parce que tant que le concordat règle les rapports de l’église et de l’état, il n’est pas permis de le subordonner à des passions de secte, et tant que des lois existent, il n’est pas permis de les éluder par d’indignes subterfuges, par des suppressions ou des réductions de crédits. C’était une œuvre de sagesse, de prévoyance politique : les républicains du Palais-Bourbon, quand ils ont eu à examiner de nouveau le budget modifié au Luxembourg, n’ont cependant voulu rien entendre. Ils se sont hâtés de biffer impitoyablement à peu près tout ce qu’avait