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Cette scène est le point culminant de l’opéra. Décidément, ce que le compositeur a vu dans son sujet, ce n’est pas ce qu’un Meyerbeer sans doute y aurait vu, ce que Wagner a vu dans Lohengrin ; ce n’est pas la couleur féodale et guerrière, c’est le drame intime ; ce qu’il a voulu mettre dans sa musique, c’est moins l’éclat et la puissance que la tendresse et la pitié.

Nous avons nommé Lohengrin, parce que l’œuvre de Wagner s’impose au souvenir des auditeurs du Chevalier Jean. Elle a dû s’imposer à l’auteur lui-même et le gêner peut-être. Mais si M. Joncières, en écrivant ces deux derniers actes, s’est rappelé la comparution d’Eisa devant l’empereur et l’admirable interrogatoire qui suit, il a senti qu’il fallait faire autrement et qu’il y a des modèles inimitables. Ni le procédé, ni l’inspiration ne se ressemblent chez les deux musiciens.

Signalons encore un bel effet dans la prière des moines derrière la coulisse, et dans la dernière partie du duo un peu de Verdi et de sfogato italien qui n’est pas déplacé.

Une critique en finissant, à propos du dernier acte. Nous ne dirons rien du sextuor avec chœurs ; mais pourquoi, pendant que les deux champions sont aux prises, pourquoi cette prière banale avec accompagnement de harpes ? Pourquoi cette pâle copie de l’hymne final de Faust ? Pourquoi surtout ce silence des chœurs ? C’est au public et pas aux combattans que la comtesse devrait tourner le dos. Elle devrait suivre la lutte, comme la suivait jadis la fille de Roland dans le drame de M. de Bornier ; elle devrait nous en crier les péripéties et le dénoûment avec des récits entrecoupés, haletans. Il y a là un contresens dramatique, et l’intérêt musical est trop faible pour le racheter.

Les deux principaux interprètes de M. Joncières ont suivi la fortune de son œuvre, ils en ont partagé le succès. Mlle Calvé a chanté avec simplicité et dans un bon style la scène de la Confession. La voix de M. Lubert a le charme de la jeunesse. Ce n’est pas chez M. Carvalho que le ténor est l’oiseau rare, et M. Lubert va compléter avec MM. Talazac et Mauras un trio remarquable.

La reprise de Rigoletto à l’Opéra ne profitera ni à l’ouvrage ni au théâtre. Ils ne sont pas faits l’un pour l’autre. Rigoletto ne gagne rien dans son nouveau cadre, au contraire. Des œuvres essentiellement italiennes comme celles-là ne peuvent se passer de leurs compatriotes, de leur milieu. Il leur faut un orchestre moins nourri, mais plus alerte et des chœurs moins nombreux. Il leur faut une exécution plus vive, plus enlevée, des voix plus agiles et plus étendues, qui ne ralentissent ni ne transposent, il leur faut le brio, le diable au corps. C’est avec tout cela qu’on les joue là-bas, même sur des scènes