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si graves que fussent nos embarras, nous finirions par nous en tirer ; ils croyaient à notre résurrection, et d’avance ils s’en inquiétaient. Nos élections leur avaient déplu, l’assemblée nationale leur était suspecte, ils lui attribuaient de mauvais desseins à leur égard. Ils craignaient qu’à peine remise de ses désastres, la France ne s’avisât de relever le lustre de ses armes en rétablissant le pouvoir temporel ; ils se souvenaient de la restauration, du duc d’Angoulême, de Ferdinand VII et de Riego : — « La France sera sûrement tentée, disaient-ils, de défaire quelque jour l’œuvre qui lui a été fatale ; nous avons trompé ses espérances, elle nous demandait nos soldats, nous ne lui avons donné que Garibaldi et ses volontaires. Nous n’avons pas fait assez pour nous assurer sa reconnaissance, et nous avons trop fait pour ne pas encourir les ressentimens de la Prusse. Il n’est que temps d’aviser. »

Le gouvernement italien partageait en quelque mesure ces appréhensions. — « Le cabinet de Florence, écrivait M. Rothan le 18 mars 1871, ne se dissimule pas qu’il existe aujourd’hui entre les deux pays non-seulement des divergences d’intérêt, mais des rancunes latentes, qui pourraient facilement amener des complications… Tout récemment, dans un entretien confidentiel, M. Visconti-Venosta exprimait de grandes inquiétudes à ce sujet, regrettant sincèrement que les sentimens de l’Italie pour la France fussent contrariés par les exigences de la politique. En s’exprimant ainsi, il faisait allusion tout autant à la question romaine qu’à la politique de l’Italie en Orient, à ses intérêts commerciaux et à toutes les questions, comme celles de Tunis et de Nice, que les partis extrêmes, sous l’influence de la Prusse, exploitent à tour de rôle. » Il écrivait encore à la date du 1er avril : « J’ai trouvé ce matin le ministre des affaires étrangères plus soucieux que d’habitude. Il fait des vœux sincères, assurément, pour le triomphe de l’ordre on France ; mais il appréhende qu’une réaction exagérée à l’intérieur n’ait pour conséquence forcée la défense exagérée au dehors des principes d’autorité dont la papauté a toujours été l’ardent auxiliaire. » Il ne tenait pas à nous de dissiper entièrement ces inquiétudes chimériques ; les cauchemars d’une conscience malade ne sont pas faciles à guérir. Mais nous aurions dû nous appliquer à ne point justifier les soupçons qu’on nourrissait contre nous, et nous ne l’avons pas toujours fait. Dans ce temps, quelques-uns de nos évêques et beaucoup de nos pèlerins semblaient prendre plaisir à nous compromettre par la témérité de leur langage, par leurs imprudentes rodomontades.

Après tout, les Italiens avaient sujet d’être perplexes. Ils avaient profité du moment où toute l’Europe avait les yeux sur Paris pour entrer violemment à Rome. Ils ne pouvaient se dissimuler qu’ils s’étaient engagés dans une grosse aventure, qu’ils avaient des comptes à régler avec tout le monde catholique, et les catholiques protestaient et