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vendeurs et acheteurs ne seront jamais contens. Il est plus prudent et il est plus équitable de leur laisser négocier entre eux leurs affaires.

Sous le second empire, le régime des règlemens parvint au plus haut point de complication. Un boulanger était un agent de l’état presque au même titre qu’un débitant de tabac. Le nombre des boulangers restait limité provisoirement à six cent un : il pouvait augmenter de façon à ce qu’il y eût toujours un boulanger pour 1,800 habitans. Un.décret impérial du 27 décembre 1853 créa la caisse de la boulangerie, destinée à un double usage. D’abord tous les achats de blés ou de farine étaient soldés par elle, moyennant un crédit ouvert à chaque boulanger. Ensuite, quand le prix du pain, déterminé par la mercuriale, excédait le prix fixé dans la taxe municipale elle avançait la différence aux boulangers ; elle comblait le déficit. En revanche, s’il y avait excédent, les boulangers devaient le rapporter à la caisse, pour la couvrir de ses avances. En somme, le système de compensation, grâce auquel le prix du pain devait rester à peu près constant, ne reposait plus, comme sous le premier empire, sur le crédit personnel des boulangers ; la caisse commune devait les aider à passer les mauvais jours, et recouvrer ses avances dans les temps de prospérité. C’était une sorte de caisse d’assurance contre la cherté des grains.

Vers 1859, les boulangers se plaignirent amèrement de la taxe. Les frais de panification étaient, disaient-ils, estimés à trop bas prix : on ne tenait pas assez grand compte de la hausse des loyers et de la main-d’œuvre. Le gouvernement ordonna une enquête dans laquelle furent entendus avec les syndics de la corporation, des savans tels que MM. Dumas, Payen, Mège-Mouriès ; des économistes, des agriculteurs, négocians en farine ou meuniers, tels que MM. Darblay aîné, Rabourdin, Adolphe Dailly, Pluchet, Isidore Fould, Darblay jeune, Feray d’Essonne. Puis le conseil d’état étudia la question et confia le rapport à M. Le Play. Ce rapport, chef-d’œuvre de science historique et économique, concluait au rejet de nouvelles mesures réglementaires et à la suppression graduelle de celles qui existaient. Après avoir établi que le régime réglementaire n’était pas antérieur à. la révolution, il prouvait que ce régime, « péniblement créé chez nous depuis soixante ans, pendant qu’on le détruisait chez les autres peuples, n’entraîne pour le consommateur que des charges sans compensation. Chaque addition faite à ce régime, ajoutait-il, s’est résumée en une surtaxe de prix du pain… La caisse de la boulangerie et le système de : la compensation imposent en frais de régie, en intérêts de fonds, en primes attribuées à la fraude, à la contrebande et aux fabrications domestiques, une surtaxe de 1 million