Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La qualité du pain qui sera mis en vente est fixée par décret[1]. Elle sera partout la même. La fraternité exige que tous les Parisiens mangent le même pain ; l’austérité républicaine veut que ce soit le plus mauvais. « La mouture, dit le décret, sera uniforme ; et il n’en pourra être extrait, par quintal de toute espèce de grains, que quinze livres de son[2]. » C’est dire que beaucoup de son restait dans la farine. Elle ne ressemblait guère aux belles farines de première qualité, blutées à 65 pour 100, qui servent aujourd’hui à fabriquer le pain le plus blanc pour les faubourgs de Paris.

Le premier résultat de semblables mesures lut de faire abandonner les métiers. « Voilà huit ou dix jours, écrit le citoyen Nicolas Lévy, meunier, que notre moulin ne tourne pas, faute de bled… Lorsque je vous vendis dernièrement une voiture de farine, je l’avais en effet, et je vous l’ai même envoyée. Six jours après, on me l’arrêtait à Rambouillet[3]. »

Le citoyen Bonneau, marchand de farines à Étampes, et commissaire de la commune de Paris, déclare, le 3 juillet 1793, qu’il est dans l’impossibilité de remplir ses engagemens, attendu que la municipalité d’Etampes lui a refusé un acquit-à-caution. « J’ai fini le contingent des soumissions que je vous ai faites, écrit le citoyen Genêt, meunier à Granville (Seine-et-Oise) ; dans ce moment-ci, il ne m’est plus possible de vous fournir un sac pour l’approvisionnement de Paris. J’avais chez moi cent sacs de farine préparés pour Paris, les commissaires de la ville de Versailles sont venus chez moi dimanche dernier requérir ces farines… Je vais travailler à me défaire de mes chevaux et ustensiles de commerce[4]. »

« J’avais disposé, écrit Hervé, meunier à Épernon, le 29 juin dernier, une voiture de farines que vous auriez reçue le 30. Mais j’ai été à la dernière surprise d’apprendre, en rentrant chez moi que cette voiture a été enlevée par les citoyens Préau, Angibault et Ledier, se disant commissaires pour le recensement des blés et farines[5]. »

Toutes ces lettres sont adressées à l’administration des subsistances à Paris. Si cette administration privilégiée et populaire entre toutes[6] avait tant de peine à recevoir ses fournitures, que devaient

  1. . Décret du 15-16 novembre 1793 (25-26 brumaire an II).
  2. Il s’agit d’un quintal de 100 livres et par conséquent de 15 pour 100 de son.
  3. Lettre datée du 4 juillet 1793, adressée à l’administrateur des subsistances à Paris.
  4. Lettre citée dans le rapport de M. De Play.
  5. Ibid.
  6. « Ces mots (c’est pour nos frères de Paris) ont été plus d’une fois les mots magiques qui, sur les routes, dans les communes, dans les rassemblemens populaires, ont empêché le pillage, dissipé les attroupemens et facilité la circulation des grains. » (Rapport de Boissy d’Anglas, 25 ventôse an III). — Il parait que ces mots magiques eux-mêmes ne suffisaient pas toujours !