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du père de famille dans l’évangile : les pluies étaient violentes, les cours d’eau débordés, etc. Comme le père de famille, le commandant en chef prit note de leurs excuses et se promit de leur en demander compte. En attendant, il festoya ceux qui étaient venus ; après dix jours ; l’agha Mahiddine reprit le chemin de Koléa avec force protestations de dévoûment et promesses de paix, voire même de tribut.

Le duc de Rovigo était défiant, soupçonneux ; à certains égards, il n’avait pas tout à fait tort de l’être. Il avait entre les mains toute une correspondance interceptée des notables de Blida, de Médéa, de Miliana, soit avec le Turc Ibrahim, qui s’était rendu maître, comme on sait, de la kasba de Bône, soit avec le sultan du Maroc, pour lui faire acte d’obéissance. Si l’agha et ses pareils étaient gens cauteleux, il y avait un personnage qui ne prenait pas la peine de dissimuler ses prétentions. Le promoteur de la grande insurrection contre le général Berthezème, l’hôte de Ben-Zamoun, le marabout Sidi-Saadi, avait fait faire au duc de Rovigo des propositions étonnantes : à condition qu’on voulût bien le nommer au commandement des Arabes, l’installer à la kasba et lui permettre d’arborer le drapeau turc ; en d’autres termes, si l’on voulait bien lui céder la place, il voulait bien, de son côté, promettre de payer une redevance à la France, d’assurer le maintien de la paix et de favoriser le commerce. Pour qu’une idée aussi extravagante eût pu traverser le cerveau d’un indigène, il fallait que fût tombé bien bas le prestige de l’autorité française. Il importait donc de le relever promptement et sûrement.

Alger, avec ses hautes murailles, n’avait rien à craindre des attaques du dehors, et, dans l’intérieur, la haine sourde des Maures était impuissante ; mais le Fhas était à peu près sans défense. En l’entourant d’une forte ceinture militaire, le duc de Rovigo voulut à la fois lui donner la sécurité et prouver à tous, Maures, Arabes et Kabyles, que l’établissement de la France en Afrique n’était pas un campement sous la tente, un jour déployée, repliée le lendemain. Des emplacemens furent désignés, à Dely-Ibrahim, Tixeraïn, Birkhadem et Koubba, pour quatre camps permanens mis en communication par une route de ceinture et couverts par une ligne de blockhaus. Dès le commencement d’avril, les travaux de terrassement commencèrent et les baraquemens furent entrepris. Le lor bataillon de zouaves, à Dely-Ibrahim ; à Birkhadem, le second, firent des merveilles, Ces deux camps furent les premiers achevés et les mieux construits, avec la moindre dépense. Sauf le 4e de ligne, qui, pour la garde d’Alger, occupait les forts et la kasba, tous les autres corps étaient cantonnés ou campés.

La saison n’était pas avancée encore, et déjà les malades affluaient