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d’Allemagne, sont singulièrement laborieux et dispendieux. De Christiansand à Gothenbourg, il n’y a pas de sorte de véhicule que d’Avaux n’ait essayée pour aller plus vite, galères et chaloupes sur les fiords, traîneaux, carrioles, berlines… « Rien ne vous peut représenter, écrit d’Avaux, ce que nous avons souffert trois jours de suite. Le temps s’étant radouci, la surface de la neige s’était fondue et couverte d’eau, qui, venant à être gelée la nuit, faisait un verglas épais d’un pied sur les rochers rendus encore plus glissans. Il fallait grimper sur des montagnes gelées de cette sorte, et en descendre, quoiqu’elles fussent droites comme des échelles ; la berline, après être montée au milieu de la montagne, retombait avec les six chevaux qu’elle entraînait… Nous n’avons eu pendant toute la route ni vin qu’on pût boire ni une seule goutte de bonne eau, mais de la bière détestable, et ce pain, que les paysans de Suède cuisent une fois l’an et qui est pendu à leur plancher. » — M. Courtin, parti de Paris le 24 septembre 1671 par la voie de Dunkerque, a pris ensuite par l’Allemagne ; il est en Westphalie le 3 novembre seulement ; il lui faut onze heures, le 12 de ce même mois, pour traverser l’Elbe pendant la nuit. Il arrive à Stockholm après un dangereux voyage de plus de deux mois et demi, le 12 décembre.

Mais qu’est-ce que cela auprès de ce que subira l’ambassadeur s’il doit suivre ou seulement joindre des rois farouches ou batailleurs comme Charles X Gustave ou Charles XII ? En temps de paix, Charles-Gustave vit solitaire, silencieux, enfermé avec quelques favoris, ou variant sans cesse, pour échapper aux affaires, des résidences dont ses propres ministres sont à peine informés ; il faut s’engager à sa poursuite, au risque de ne jamais l’atteindre. Ou bien il fait la chasse à l’ours, parfois corps à corps, et volontiers il y invite. En temps de guerre, c’est dans son camp qu’il faut visiter le roi de Suède, et ce camp, il le transporte avec une rapidité inouïe on Pologne, en Prusse, en Poméranie, dans le Holstein. D’Avaugour meurt de fatigue à le suivre ; Terlon l’accompagne en traîneau lors du fameux passage de l’armée suédoise, en 1658, sur les Belts glacés : « Je puis dire qu’il y avait quelque chose d’affreux à marcher de nuit sur cette mer, parce que la multitude des chevaux qui étaient avec le roi de Suède avait, en frayant le chemin, fait fondre la neige, en sorte qu’il y avait deux pieds d’eau par-dessus la glace, et l’on était toujours dans la crainte de trouver la mer ouverte on quelque endroit. Il y eut plusieurs traîneaux qui périrent pour avoir trouvé la glace trop faible… » Charles XII, lui, donnait audience aux diplomates étrangers dans la tranchée même, parmi la poussière du combat et sous les balles. Besenval et Colbert de Croissy y furent souvent, et ne s’en plaignirent jamais. « Envoyer un homme à la