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commandement, le général Voirol en avait senti la gêne, et quelques-uns de ses subordonnés avaient profité audacieusement de son embarras pour la lui rendre plus insupportable encore. Ainsi faisaient, à Oran, le général Desmichels, et, dans Alger, M. Genty de Bussy, l’intendant civil. Ce personnage, dont l’activité tracassière et brouillonne n’a laissé guère d’autre souvenir durable de son administration que l’établissement du Hamma, le jardin des plantes d’Alger, avait pris en face de son chef une attitude indépendante, inconvenante souvent, et, dans les derniers jours, tout à fait provocante.

Deux affaires surtout achevèrent d’offenser le général Voirol et de pousser à bout sa patience. Un juif, nommé Sofar, lui avait adressé une requête où l’équité, la probité même du tribunal des rabbins était mise on suspicion. Aux termes de l’arrêté rendu, le 22 octobre 1830, par le général Clauzel, toute plainte pour cause de forfaiture, de prévarication ou de déni de justice, contre les juges des tribunaux musulmans et Israélites, devait être portée devant le général en chef, qui en ordonnerait. En conséquence, le général Voirol suspendit l’exécution du jugement rendu contre Sofar, et fit procéder à une enquête qui justifia les allégations du plaignant ; mais alors l’intendant civil, prenant fait et cause pour les rabbins, éleva le conflit, soutint que l’arrêté du 22 octobre 1830 avait été implicitement réformé par celui qu’il avait fait souscrire lui-même au duc de Rovigo, le 16 août 1832, et qu’en matière civile rien ne pouvait contrarier l’action des tribunaux indigènes. La question de principe, renvoyée à Paris, dans les bureaux de la guerre, fut décidée en sa faveur ; le général fut blâmé de son intervention et, malgré l’évidence des faits qui indignaient son caractère équitable, il eut le chagrin de voir le triomphe de M. Genty de Bussy et des juges prévaricateurs.

L’autre affaire avait plus d’importance encore et devait avoir des suites plus graves. Une Mauresque divorcée, qui voulait épouser un Français, avait annoncé sa résolution de se faire chrétienne : grand émoi dans la population musulmane. Le cadi prétendait non-seulement que cette femme n’avait pas le droit de changer de religion, mais que, pour en avoir manifesté l’intention seulement, elle méritait d’être punie. Le général, devant lequel il avait soutenu ce thème exorbitant, lui répondit que, d’après la loi française, chacun étant libre de suivre le culte qui lui convenait, la Mauresque était absolument dans son droit, et qu’il ne souffrirait pas qu’elle fût violentée ni inquiétée même. En dépit de cet avertissement qui était sérieux, le cadi, voyant la néophyte persister dans son dessein, malgré tout ce qu’il avait pu lui dire, la fit enlever par ses agens. Aussitôt averti, le général lui dépêcha un de ses