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l’humanité, n’ont-ils pas le leur ? La pensée de l’abandon d’Alger, qu’heureusement le ministère vient de répudier, resterait éternellement comme un remords sur la date de cette année, sur la chambre et sur le gouvernement qui l’aurait consenti. » Des hauteurs où l’avait emporté le poète orateur, M. Odilon Barrot ramena le problème au terre-à-terre et à l’équivoque. Le gouvernement avait demandé 400,000 francs pour un essai de colonisation ; la commission était d’avis de n’en accorder que 150,000. « Le vœu de la chambre, dit M. Odilon Barrot, est de ne rien préjuger par le vote qu’elle va porter sur l’amendement de la commission. Je n’énonce pas une opinion sur la question. Je prends pour règle de décision la déclaration de M. le ministre de la guerre ; elle a été très affirmative sur ce point que le gouvernement n’abandonnerait pas l’occupation d’Alger, mais il a déclaré que le gouvernement n’avait pas encore d’opinion sur ce qu’il avait à faire de cette occupation. La dépense de 400,000 francs préjugerait la colonisation, c’est pour cela que je vote contre. » La majorité de la chambre se prononça contre également.

Au point de vue parlementaire, le problème restait donc à résoudre ; la question d’Alger devait être encore plus d’une fois débattue dans les assemblées politiques. Cependant le gouvernement lui fit faire un grand pas lorsqu’il adopta les conclusions de la commission d’Afrique. Une ordonnance royale, du 22 juillet 1834, décida qu’un gouverneur général serait chargé de l’administration des possessions françaises dans le nord de l’Afrique. Qui allait-ce être ? Le maréchal Clauzel, le général Guilleminot, le duc Decazes ? Car l’idée d’un gouverneur général civil ne déplaisait ni à beaucoup de députés, ni même à quelques-uns des ministres. Le maréchal Soult, il est vrai, avait déclaré qu’il ne signerait jamais l’ordre de faire commander une armée de 30,000 hommes par un fonctionnaire civil ; mais, depuis le 18 juillet, il n’était plus ministre de la guerre. Enfin, à la surprise générale, le choix du gouvernement tomba sur le lieutenant-général Drouet, comte d’Erlon. Ce glorieux débris de Waterloo n’avait pas moins de soixante-neuf ans. C’était le maréchal Gérard, successeur du maréchal Soult, qui, parmi les candidats, avait fait choisir le plus âgé, un vieux camarade de 1815.


IX

Le commandant intérimaire dut attendre pendant deux mois encore l’arrivée du gouverneur général. Une autorité qui n’est que provisoire est toujours incertaine de son droit, inquiète de sa responsabilité, hésitante et circonspecte. Dès le début de son