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enfin Moustafa-ben-Ismaïl, le 12 juillet, trois mois jour pour jour après sa défaite. Victorieux, il pardonne aux Sméla et aux Douair, et pour agha nomme El-Mzari, le propre neveu du vieux Moustafa, qui, défait, mais non abattu ni soumis, va demander au Méchouar de Tlemcen un asile contre l’humiliante générosité du vainqueur. C’est aussi à Tlemcen que le vainqueur apporte les drapeaux conquis. La cité maure le reçoit avec enthousiasme ; habile à s’attacher les populations des villes, il rend aux hadar leur ancien kaïd Ben-Nouna que le sultan de Fez a réconcilié avec lui. Seuls, les Coulouglis du Méchouar continuent de lui refuser l’obéissance, et cette fois encore, trop mal armé pour les réduire, il est contraint de dissimuler sa colère impuissante. Cependant l’artillerie d’Oran stupéfaite tirait le canon pour célébrer comme une victoire française les succès d’Abd-el-Kader, et le général Desmichels faisait porter ses félicitations à l’émir. L’expression d’un seul regret y était jointe : pourquoi l’émir ne consentait-il pas à se rencontrer avec lui ? Le rêve caressé d’une entrevue reculait toujours comme le mirage.

Oran, Mostaganem, Arzeu, le Méchouar de Tlemcen à part, l’autorité d’Abd-el-Kader s’étendait sur tout le beylik. Impatiente de rencontrer dans le Chélif une limite, son ambition n’attendait qu’une défaillance du commandement d’Alger pour la franchir, et certes l’incroyable faiblesse du commandant d’Oran était bien faite pour lui donner confiance. Il écrivit donc au général Voirol qu’après avoir pacifié la partie occidentale de la régence, il allait porter également dans l’est l’ordre et la sécurité. Le messager qu’il avait chargé de remettre sa lettre, Sidi-Ali-el-Kalati, marabout de Miliana, était loin d’être un aussi habile homme que Miloud-ben-Harach. Au lieu de circonvenir doucereusement le commandant d’Alger, il le heurta de front ; il lui reprocha d’avoir châtié les Hadjoutes, qui étaient les sujets d’Abd-el-Kader. Le commentaire était encore plus maladroit que la lettre n’était hardie. Le général Voirol répondit à l’émir qu’il le croyait trop sage pour mettre en péril, en franchissant le Chélif, ses relations nouvelles avec la France, et que la paix régnait autour d’Alger depuis le châtiment infligé aux Hadjoutes.

Le ton simple et ferme de cette réponse fit impression sur Abd-el-Kader ; elle arrêta pour un temps son essor, mais elle piqua singulièrement Sidi-Kalati, qui mit dès lors tout en œuvre pour exciter contre le général d’Alger l’irritation du commandant d’Oran. Il prêta donc au premier les propos les plus blessans pour le second et il réussit à les faire passer jusqu’à celui-ci par les officiers français détachés à Mascara, puis il confirma son mensonge dans une lettre adressée directement au général Desmichels : « Je puis vous