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sembla se détourner de l’émir, ce fut le général Desmichels qui releva son courage.

La paix qu’Abd-el-Kader venait d’accorder aux chrétiens en la tournant toute à son avantage, les envieux, les jaloux de sa domination, ses ennemis de race la lui reprochaient comme une insulte à la loi du Prophète ; il était partout dénoncé aux croyans comme l’ami des infidèles. Il réclamait l’achour, la dîme prescrite par le Coran ; les Beni-Aineur le lui refusent : l’achour est pour la guerre, Varhour est pour le service d’Allah ; il a fait la paix avec les chrétiens, à quel titre réclame-t-il donc l’achour ? Mais tout à coup, domptés, séduits, charmés par l’éloquence de l’émir, les cheikhs des Beni-Àmeur qu’il a fait venir à Mascara se soumettent. Pour les réduire à contribution, appel avait été fait aux vieilles tribus du maghzen, Douair et Sméla ; ce sont celles-ci maintenant qui ne veulent plus s’arrêter, qui refusent d’obéir. Depuis longtemps une sourde jalousie anime contre Abd-el-Kader leur chef célèbre dans tout le beylik, l’ancien agha du bey d’Oran, Moustafa-ben-Ismaïl. Voyant les siens mécontens, frustrés du butin dont ils ont eu la convoitise, il se révolte, marche contre Abd-el-Kader, le surprend dans la nuit du 12 avril et le bat. L’émir, qui a eu deux chevaux tués sous lui, qui a couru les plus grands dangers, est rentré presque seul à Mascara. Aussitôt l’insurrection éclate et les plus grands se déclarent, Sidi-el-Aribi dans la vallée du Chélif, Kaddour-ben-Modi chez les Bordjia, El-Gomari chez les Angad. Dans la société arabe, comme autrefois dans la nôtre entre la robe et l’épée, la rivalité est constante entre la noblesse religieuse et la noblesse guerrière. Issu d’une lignée de saints et d’ascètes, Abd-el-Kader n’est pas un homme de grande tente ; l’aristocratie militaire, froissée dans son orgueil, se dresse contre la suprématie du marabout.

C’est ici qu’intervient le général Desmichels. Après sa victoire, Moustafa-ben-Ismaïl s’est offert à lui : il a repoussé son offre ; une grande fraction des Douair, menacée par un retour offensif des Beni-Ameur, s’est retirée sous le canon de Mers-el-Kébir : l’oukil d’Oran proteste, leur intime l’ordre de s’éloigner, et le général est tout près d’appuyer l’oukil, quand l’arrivée du général Trézel l’empêche de commettre ce mauvais acte ; mais il a déjà écrit à l’émir que, sous la protection.de la France dont il peut s’assurer, il ne doit désespérer de rien ; il lui a conseillé de rassembler sur le Sig les tribus qui lui sont restées fidèles et promis d’aller s’établir lui-même à Misserguine, afin de surveiller et de contenir les Sméla et les Douair. Quatre cents fusils et des barils de poudre sont livrés, sur ses ordres, par les magasins de l’artillerie à Ben-Harach.

Ainsi fortifié, plus qu’en sécurité du côté d’Oran, Abd-el-Kader écrase ses ennemis tour à tour, Sidi-el-Aribi. Kaddour-ben-Morfi,