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hommes et les choses qu’il aurait fallu voir de près, il ne les apercevait que de loin ; il n’était plus averti à temps et ses informations n’étaient plus sûres. Le général Voirol venait de visiter les travaux de Bou-Farik, il avait vu cent cinquante hommes à la besogne : la chaussée, les ponts étaient en état, un canal se creusait, un pont de chevalets traversait le marécage. Par la route de Douéra, poussée jusqu’à Sidi-Haïd, on pouvait aller directement d’Alger à Bou-Farik. À peine revenu, très satisfait de sa visite, il apprenait qu’une bande de mécontens avait envahi l’atelier et chassé les travailleurs. Une reconnaissance, envoyée le lendemain, trouva en effet les outils semés çà et là et le terrain désert. Les gens de Bouagueb avaient disparu. Étaient-ils les coupables ? Personne n’en pouvait rien savoir. Les travaux furent abandonnés : c’était reculer devant les agitateurs et les encourager à faire pis.

Sur ces entrefaites, Alger accueillait au bruit du canon, avec tous les honneurs militaires, quelques hauts personnages qui venaient officiellement faire une enquête sur l’état des choses en Afrique. Deux pairs de France, le lieutenant-général Bônet et le comte d’Haubersart ; quatre membres de la chambre des députés, MM. Laurence, Piscatory, de La Pinsonnière et Reynard ; le maréchal-de-camp Montfort, inspecteur du génie, et le capitaine de vaisseau Duval d’Ailly composaient cette commission, dont le général Bônet avait la présidence. Après avoir visité la ville et les environs immédiats, les commissaires voulurent se rendre à Blida. Le général Voirol les y conduisit, le 10 septembre, avec une escorte de 4,000 hommes, commandée, sous sa direction, par le général Bro. En chemin, on apprit une mauvaise nouvelle. La veille, au soir, au moment où le marché de Bou-Farik venait de finir, le kaïd de Beni-Khelil, Bouzeïd-ben-Chaoua, partisan dévoué des Français et serviteur énergique de leur cause, avait été assassiné. La colonne passa sur le lieu du meurtre ; on n’apercevait pas un seul Arabe. À peu de distance de Blida, une députation se présenta, demandant comme toujours que les troupes demeurassent en dehors de la ville ; seuls, les commissaires, accompagnés des généraux et de l’état-major, y entrèrent. Après une halte de deux heures, on reprit le chemin d’Alger. Au défilé de Bou-Farik, un spectacle atroce attendait la commission ; trois cadavres décapités gisaient en travers de la route : c’étaient un cantinier, sa femme et un ami qui le matin avaient suivi la colonne. Pendant la retraite, une centaine de cavaliers avaient, selon l’usage, tiraillé de loin contre l’arrière-garde qui avait riposté. Emporté par une ardeur qui n’était plus de circonstance, le général Bônet était un instant sorti de son rôle ; il avait pris le commandement et fait faire aux troupes des mouvemens inutiles. Elles rentrèrent fatiguées, mécontentes,